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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1151

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Marie, la mère immaculée, l’arche d’alliance, écrase la tête du serpent, et le monde, exprimé à la manière antique par les figures de la terre et de la mer, assiste au spectacle de cette grande et sainte victoire. La terre, sous les traits d’une jeune femme, porte des vases d’où sortent des plantes et allaite une jeune fille à genoux. La mer, figurée également par une femme, est à cheval sur un poisson ; elle tient d’une main un navire, de l’autre un vase qui laisse échapper de l’eau. L’art dans ces emblèmes ne fait que traduire sur la pierre l’hymne magnifique : Cœli enarrant gloriam Dei ; il reproduit, comme les auteurs de l’Hexœmeron, l’œuvre des six jours, pour glorifier le Créateur par le spectacle de la création, et s’inspirant tout à la fois de la Bible, des pères, des encyclopédies théologiques, des Bestiaires, il évoque, pour en faire une décoration et un enseignement, tous les êtres du monde visible et invisible tels qu’il les connaît par la science ou par la foi. La basilique chrétienne au XIIIe siècle est tout à la fois une chronique sacrée, un cantique d’actions de grâces et une encyclopédie ; mais déjà, dans le siècle suivant, le mysticisme a replié ses ailes : l’idée symbolique se perd. Ce n’est plus dans les livres saints, mais dans les romans et les fabliaux, que les artistes vont puiser leurs inspirations. Les données profanes se multiplient dans le siècle suivant, et bientôt, sous la double pression de la renaissance classique et du prosaïsme sceptique de la réforme, tout se réduit à une simple ornementation.

Les nombreux travaux dont l’archéologie religieuse a été l’objet dans ces dernières années, l’étude comparée des monumens et des textes, ne laissent aujourd’hui aucun doute sur l’intention des artistes qui décorèrent nos basiliques et sur le sens d’un grand nombre d’emblèmes. Ces artistes n’inventaient pas ; ils ne faisaient que transporter sur la pierre ce qu’ils avaient lu dans les livres, ce que la tradition universelle leur avait appris. Faute de connaissances suffisantes, l’école philosophique s’est scandalisée bien à tort de ce qu’elle appelait les sculptures barbares des monumens gothiques, et les réformés du XVIe siècle montrèrent également leur ignorance en demandant qu’on fit disparaître de tous les lieux où elles se trouvaient les images des bêtes brutes faites par le caprice des peintres[1]. L’art en ce point était complètement indépendant du dogme ; il ne demandait pas, comme le prétendaient à tort les protestans, un « culte de latrie » pour ses images. Pour lui, les représentations figurées étaient un enseignement qui, tout bizarre qu’il fût parfois, n’en exerça pas moins une influence utile. Les fidèles en effet retrouvaient sur le portail des églises, comme dans les drames sacrés connus sous le

  1. Mémoires de Condé, 1743, in-4o, t. III, p. 101.