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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1255

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les faits il ne s’est pas toujours interdit les considérations générales, ou les appréciations de détail. Cette méthode d’exposition mérite d’être signalée, parce qu’elle est à peu près contraire à la méthode suivie jusqu’ici par les compatriotes du père Marchese. Chose étrange en effet, les Italiens, qui ne pèchent pas d’ordinaire par excès de réserve dans l’expression de leurs sentimens et par le laconisme du style, semblent se départir complètement de leurs habitudes quand ils écrivent sur l’histoire de l’art. On dirait qu’ils craignent d’émettre leur opinion, et que, au lieu de définir les divers caractères du talent, ils se proposent seulement de cataloguer des œuvres.

Les écrits du père Marchese laissent voir une ambition plus haute, et l’on ne peut qu’applaudir à cette tendance nouvelle, à ces efforts pour éclairer le récit des lumières de la critique : efforts réels, quoique timides encore, et non sans influence peut-être sur la marche de l’école, mais qui auraient eu une utilité plus positive, si l’auteur avait ouvertement rattaché au temps présent l’étude qu’il a faite sur le passé. On devine l’intention secrète du père Marchese sous la réserve de son langage. Il est permis de supposer que cet hommage à la mémoire d’un grand peintre est aussi une forme de critique à l’adresse des peintres contemporains, mais pourquoi laisser seulement pressentir ce qu’il importait de dire en termes précis dans l’intérêt de tous ? pourquoi ces conseils détournés et ces encouragemens indirects ? N’y avait-il pas une conclusion à tirer de l’analyse des travaux de fra Angelico ? En traitant de cette gloire que trois siècles d’oubli n’ont pu détruire et qui renaît aujourd’hui plus radieuse que jamais, n’était-il pas à propos de nous rappeler que si les formes de l’art peuvent et doivent varier en raison des idées, des institutions et des mœurs de chaque époque, les principes et le fond même de l’art sont immuables ? Ni les turbulens succès des imitateurs de Michel-Ange, ni l’éclectisme des Carrache, ni les tentatives des naturalisti, ni les systèmes les plus absolus et les plus adoptés par la mode, n’ont réussi à changer les conditions de beauté et de durée dans les œuvres de la peinture : il n’y a que l’idéal qui les fasse vivre ; c’est à ce titre que les tableaux de fra Angelico subsistent, et qu’ils resteront pour les artistes des exemples immortels. Puisse-t-on à Florence achever de comprendre en quoi ces exemples obligent, puisse la vieille tradition florentine se réhabiliter dans l’esprit de tous, et le zèle de ceux qui essaient de la remettre en honneur ne pas demeurer infécond ! Si les écrits du père Marchese n’accusaient qu’une activité intellectuelle se rejetant en arrière pour se donner un objet, il n’y aurait lieu de voir dans de pareils travaux, quelque estimables qu’ils soient, qu’une tendance purement scientifique, sinon même un caprice d’érudit : on ne saurait compter beaucoup, dans l’intérêt de l’art moderne, sur les résultats de ce retour accidentel vers les choses d’autrefois ; mais comme ils semblent, à côté d’études spéculatives, révéler une arrière-pensée pratique, comme en outre la publication de ces ouvrages coïncide avec un mouvement de l’école pour sortir de l’ornière où elle se traîne depuis si longtemps, on a quelque droit d’espérer qu’ils seconderont l’espèce de renaissance qui se prépare, et qu’à défaut d’une réforme complète ils introduiront du moins dans les habitudes actuelles de l’art florentin une réforme partielle et un progrès.


HENRI DELABORDE.