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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1270

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Aussi la voix suave du jeune ténor a-t-elle perdu quelque chose du timbre pénétrant qui la caractérisait autrefois : elle s’est épanouie outre mesure, et les notes blanches, comme on dit dans les écoles, se sont beaucoup trop multiplées aux dépens d’accens plus virils. M. Mario, dont la manière a toujours été entachée d’un peu d’afféterie, ne s’est point corrigé d’un défaut qui est inhérent à toute sa personne ; mais tel qu’il est, avec ce mélange de grâce et de mignardise, M. Mario est encore le chanteur le plus agréable qu’il y ait actuellement en Europe. Il a été fort bien dans les Puritains, particulièrement dans la romance du troisième acte, où il a conquis tous les suffrages.

Mlle Alboni, M. Mario et M. Rossi, qui joue le rôle de don Magnifico, et dont la voix de basse manque un peu de mordant, comme le talent de distinction, voilà à peu près tout ce qu’il y a de réellement intéressant dans la troupe de M. Ragani. Nous ne pouvons faire d’exception pour Mme Frezzolini, dont nous sommes loin pourtant de méconnaître la grâce et les élans pleins d’émotion. Les chœurs vont à merveille sous la direction de M. Alary, et l’orchestre mériterait également des éloges, s’il ne précipitait parfois un peu trop les mouvemens. Par exemple, le quintetto du premier acte de la Cenerentola et le duo des deux basses du second acte du même ouvrage ont été littéralement mis en poussière par la rapidité avec laquelle on les a exécutés. Le rhythme n’est plus reconnaissable au milieu de ce tourbillon sonore, qui n’a d’autre avantage que de couvrir l’impuissance de M. Tamburini. Puisque la nouvelle direction du Théâtre-Italien a obtenu ce grand résultat d’éveiller les souvenirs des dilettanti, et de les ramener à ce rendez-vous de bonne compagnie, qu’ils avaient déserté depuis 1848, il faut persévérer dans la même voie, qui est la seule bonne. Point de musique de M. Verdi d’abord ; les chefs-d’œuvre de Mozart et de Rossini, deux génies de la même famille ; l’adorable Matrimonio segreto de Cimarosa, un ou deux opéras de Paisiello, le Roi Théodore, par exemple, et la Serva padrona, qu’il ne faut pas confondre avec l’opéra de Pergolèse qui porte le même titre ; les délicieuses partitions de Donizetti et de Bellini, les Cantatrici villane de Fioravanti, etc., tel doit être le répertoire du Théâtre-Italien, s’il veut ressaisir la domination et diriger le goût de la France, qui a grand besoin d’une pareille école.

À l’Opéra, où Mlle Rosati a été toujours charmante dans le nouveau ballet de Jovita, on a eu la bonne idée de reprendre le Comte Ory de Rossini, chef-d’œuvre de grâce, d’invention mélodique et d’harmonie exquise, qui ne devrait jamais quitter le répertoire. C’est à M. Boulo qu’on doit cette bonne fortune de réentendre une partition dont chaque mesure vaut son pesant d’or. Que les temps sont changés depuis l’année 1828, qui vit naître le Comte Ory, précurseur de Guillaume Tell ! Nous avons bien vieilli depuis lors, tandis que la musique du Comte Ory est plus jeune, que jamais, parce qu’elle est sortie d’une source immortelle. M. Boulo est suffisant dans le rôle si difficile du comte Ory, et la belle voix de M. Obin fait très bien ressortir la partie du gouverneur. En attendant la Nonne sanglante de M. Gounod, on prépare les débuts de Mlle Cruvelli, définitivement engagée à l’Opéra, et dont l’apparition sera tout un événement.

Rien de nouveau à l’Opéra-Comique, où l’on attend avec impatience le nouvel ouvrage de M. Meyerbeer. Au troisième théâtre lyrique, où le Bijou