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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/170

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HISTOIRES D’ARMORIOUE





I.

LE RUBAN JAUNE.

xviiiee siècle.


I.


Je laisse pour un jour les pêcheurs et les pâtres,
La ferme où, tout enfant, par les landes verdâtres
J’accourais, visitant et l’aire et le lavoir.
Les grands bœufs étendus dans la crèche le soir,
Les ruches du courtil, l’âtre où le grillon crie.
Et doucement assise à son rouet, Marie.
Adieu pour aujourd’hui les robustes lutteurs,
Les combats des conscrits, les travaux des mineurs :
J’entre en nos vieux manoirs ; il est sous leurs décombres
Bien des fleurs à cueillir ou brillantes ou sombres.

Cyprien chevalier, mais pauvre, avait vingt ans.
Sous les murs d’un manoir, un matin de printemps,
Il errait par le pré, cueillant des églantines.
Et de frais boutons d’or et de blanches épines.
Et, tout en les cueillant, il mêlait dans les fleurs
Aux gouttes du matin les gouttes de ses pleurs ;
Parfois il les portait humides à ses lèvres
Où des nuits d’insomnie avaient marqué leurs fièvres,
Et ses regards voilés, des mots de désespoir.
Allaient de la prairie aux portes du manoir…
Enfin d’un ruban jaune (et dans tous nos villages
C’est la couleur encor du deuil et des veuvages)
Il noua son bouquet ; puis, non loin du château,
Songeant qu’un plus heureux l’en chasserait bientôt,
Entra dans la chapelle, et sous une relique,
Sur un coffre il posa son bouquet symbolique.
Ah : les fleurs d’églantiers, les boutons d’or si frais.
Tristement entourés de feuilles de cyprès,
C’étaient fous ses espoirs de jeunesse première