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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/175

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Portant la lourde toile et les pièces de draps.
Pour les pauvres de même attentive et dispose,
Elle leur détaillait jusqu’à la moindre chose.
Les épices aussi garnissaient la maison.
Dès l’entrée, on sentait toute une exhalaison
De poivre, de café ; près des blocs de résine.
Le miel de l’Armorique et le thé de la Chine
Embaumaient. Au dehors, c’étaient sous les auvents
Des images de saints et des jouets d’enfans.
Puis de la poterie, une pile d’écuelles ;
Du plafond retombaient des lustres de chandelles ;
Avec leurs poids de cuivre enfin, sur le comptoir.
Les balances brillaient comme un double miroir.
Mille emplettes rendaient libre cette demeure.
L’officier y revint chaque jour, à toute heure.
Tant que la mère ouvrit les yeux et murmura.
Et que sous ses deux mains la jeune enfant pleura.

II.


Dans le petit jardin d’un manoir en ruines,
Le vieux baron taillait sa clôture d’épines.
Quand le brave officier vint le front découvert
(Ses yeux caves disaient ce qu’il avait souffert),
Puis conta son histoire au chef de la famille :
« — Mon fils, elle n’est pas de vieux sang, cette fille !
— J’aimais, elle m’aima ; j’engageai mon honneur.
— Il suffit ; je vous fais votre maître et seigneur.
D’autres nous blâmeront : avant tout sa promesse.
À mon banc je prendrai ma place à votre messe.

III.


Voici comment chacun voulut la voir passer.
Jusqu’au pied de l’autel ardent à se presser.
Le cœur plein de fierté, les yeux rayonnant d’aise,
Elle avait conservé sa coiffure nantaise.
Une ample catiole aux dentelles de prix :
Son amant, son époux, ainsi l’avait compris.
Avec le vieux seigneur venait la vieille mère.
La messe terminée, on vit, calme et sévère,
La noce s’avancer vers l’antique manoir :
Un splendide banquet devait la recevoir.
On s’assit. Les valets, sur le bras leur serviette.
Emplissaient chaque verre, emplissaient chaque assiette ;
Noblesse et bourgeoisie avaient fait leur accord.
Lorsqu’une lettre arrive, et le seigneur d’abord
lentement la parcourt, puis sur la table tombe :
« — Ruiné ! Mon navire est pris, creusez ma tombe ! »
Ce fut un long moment de silence et d’effroi :
Contre des maux si grands, quels biens trouver en soi ?
Lorsque avec dignité se lève la marchande :