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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/184

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de s’adresser à l’étranger pour assurer leur approvisionnement, et il y aura, en toute hypothèse, une importation de bestiaux. En même temps, si nous jetons les yeux sur le tableau des exportations, nous remarquons que de 1822 à 1851 la sortie des bestiaux français tend à s’accroître, surtout depuis l’ouverture du marché anglais; ce sont les bœufs qui proportionnellement ont pris la plus grande part à cette augmentation. Ainsi l’est importait des vaches, la Normandie et la Bretagne exportaient des bœufs; voilà le trafic que nous faisions avec l’étranger sous l’empire des tarifs de 1822 et 1826.

Ces faits établis, n’est-on pas autorisé à soutenir qu’au point de vue économique comme au point de vue politique, ces tarifs ont échoué complètement? Si l’on veut encourager l’agriculture, propager l’élève du bétail, accroître la consommation et abaisser le prix de la viande sans dommage pour le producteur, ce n’est point à l’aide des restrictions douanières qu’il convient de procéder. Efficaces dans certains cas pour le développement du travail industriel, les tarifs semblent frappés de stérilité et d’impuissance lorsqu’ils s’appliquent aux bestiaux.

On objectera sans doute que si les droits de 50 francs par tête sur les bœufs, de 25 francs sur les vaches, etc., n’avaient pas été décrétés par la prévoyance des législateurs de la restauration, l’importation des bestiaux étrangers aurait suivi la progression rapide qui s’était manifestée en 1820; la France aurait été envahie ou inondée (car les deux expressions sont devenues classiques dans le langage de la protection) par les bœufs de la Belgique, de l’Allemagne, de la Suisse et du Piémont. En conséquence, l’agriculture nationale aurait été ruinée par la baisse exagérée des prix, elle n’aurait point obtenu ce qu’on appelle le prix rémunérateur, et la richesse publique eût été exposée à une crise presque irrémédiable.

Voilà l’objection dans toute sa force. Mais alors on se demande comment il se fait que l’agriculture française ait pu vivre et prospérer avant 1822, car ce n’est qu’à partir de cette époque, on l’a vu plus haut, que l’on a imaginé de taxer fortement les bestiaux dans une pensée de protection. Comment l’agriculture s’est-elle maintenue sous l’ancien régime, pendant les premières années de la révolution, sous l’empire? Elle n’était point cependant protégée. Si l’on répudie cette expérience du passé, qui pourtant a bien son mérite, mettons-nous en présence de la situation actuelle. Pour que les pays qui nous environnent puissent nous inonder de leurs bestiaux au point de déterminer une baisse mineuse dans les prix, il faudrait qu’ils fussent eux-mêmes en possession d’un approvisionnement de beaucoup supérieur à leurs besoins, car, en matière de bestiaux comme en toute autre, le plus riche pays du monde ne peut donner que ce qu’il a.

En Belgique, le dernier recensement officiel, qui a eu lieu en 1846, évalue à 1,099,000 têtes le chiffre des existences de la race bovine. En 1816, on comptait 981,000 têtes; en 1826, 880,000; en 1836, 930,000[1]. Ainsi, à la suite d’une période de trente ans, l’accroissement n’est que de 100,000 têtes. En 1846, on comptait 277 bêtes bovines par mille habitans, alors qu’en France, d’après le

  1. Rapport adressé à M. le ministre de l’intérieur par M. Quételet. — Moniteur belge du 20 septembre 1848.