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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/199

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Et comme au milieu des choses les plus sérieuses la comédie a toujours quelque place dans une société comme la nôtre, voici que les tables tournantes sont encore en jeu. Il y avait longtemps qu’on n’avait ouï parler des tables tournantes ; elles n’avaient point cependant disparu de la scène. Des brochures de toute couleur se sont succédé pour expliquer le merveilleux phénomène, pour l’exalter ou pour le maudire. Des évêques même, dit-on, ont eu l’extrême conscience de s’en occuper, ce qui dénotait de la part des dignes prélats une opinion peu rassurante sur le compte de leurs ouailles. Il est pourtant curieux de voir comment des choses de ce genre peuvent agir sur les esprits violens et excessifs de la plus diverse nature. L’autre jour, M. Agénor de Gasparin u’écrivait-il pas des lettres pour confesser le prodige avec une naïve et ardente conviction ? Et bien mieux encore, il s’est trouvé un ancien représentant montagnard qui a surpassé tous les miracles : il a fait parler les tables tournantes, lesquelles lui ont dicté un livre : Sauvons le genre humain ! que le confident du bois miraculeux a demandé l’autorisation de publier. L’ancien représentant montagnard n’a qu’un scrupule, c’est que les merveilleuses tables ont bouleversé toutes ses idées démocratiques, ou du moins les ont sensiblement modifiées. Quand nous disions, il y a quelque temps, que les tables tournantes simplifieraient singulièrement l’art de gouverner ! Voilà déjà que d’un coup elles sauvent le genre humain ! Et c’est ainsi qu’au sortir des bouleversemens on ne peut se remettre au simple et paisible exercice de l’intelligence. On a goût à l’excentrique ; ou se jette dans l’excès ou la puérilité, — choses qui ne s’excluent pas toujours, qui se complètent au contraire, et font un tableau au moins aussi curieux, sinon plus miraculeux que les tables tournantes.

Ce n’est pas en un jour que les traces de si profondes commotions s’effacent. On peut les suivre encore dans les choses de la pensée, même quand elles ne sont plus ailleurs. Elles se font reconnaître à l’inquiétude des uns, à la lassitude des autres, à l’incertitude de tous, aux influences qui se prolongent, à l’obstination avec laquelle on se reprend sans cesse à considérer et à reproduire certaines époques en qui se résument toutes nos luttes, tous nos combats. Quelle époque, plus que la révolution française, a conservé le don de s’imposer aux imaginations, de les troubler et de les égarer même, en restant toujours une chose vivante et présente ? On a beau faire, c’est là qu’il faut revenir comme à la source génératrice de notre temps. Aussi, dans la multitude d’œuvres qui voient encore le jour, en est-il régulièrement un bon nombre sur la révolution. La politique et la philosophie la commentent, le drame et le roman la mettent en scène, l’histoire la raconte dans ses moindres détails ; chaque parti, chaque faction a son point de vue et son témoignage. Par tous les points, l’intelligence contemporaine mord au sinistre sujet. Cela prouve qu’en dépit du temps, des expériences et des transformations, nos comptes ne sont pas réglés avec la grande époque, — grande surtout par les formidables problèmes qu’elle a posés. Cela signifie que la révolution reste malgré tout à l’état de mystère et de doute pour la conscience humaine. Malheureusement rien n’est moins fait que la nouvelle histoire achevée en ce moment par M. Michelet pour éclaircir ces doutes ; elle ne peut qu’y ajouter au contraire les fumées d’une imagination devenue ma-