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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/205

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et simplement à l’ordre constitutionnel, ni à tenter d’une manière quelconque un changement dans la régime politique de l’Espagne. Dans ces conditions, quel est le caractère du nouveau cabinet ? Voyons d’abord les hommes. Le président du conseil, M. Sartorius, comte de San-Luis, est, comme on sait, un ancien publiciste ayant été ministre avec le général Narvaez. Il avait été opposé aux projets de réforme de M. Bravo Murillo. Dans ces derniers temps cependant, il s’était séparé de ce qu’on appelait la coalition pour se rapprocher des cabinets Roncali et Lersundi. M. Roca de Togoras, marquis de Molins, a fait aussi partie du ministère Narvaez. M. Esteban Collantes a été un moment dans le dernier cabinet. Le général Blaser est un officier d’opinions politiques peu marquées jusqu’ici. Le fait le plus singulier est la présence d’un progressiste, de M. Domenech, dans le conseil nouveau. Maintenant, nous le répétons, quel est le caractère de ce cabinet ? Si on avait voulu former un ministère conservateur purement constitutionnel, c’étaient d’autres hommes plus importans qui étaient désignés au pouvoir, non pas peut-être à l’exclusion du comte de San-Luis, mais avec lui du moins. S’il s’agissait de donner une place aux progressistes dans le pouvoir, ce qui ne s’expliquerait en rien du reste, on aurait pu trouver quelque chef de ce parti plus marquant que M. Domenech : c’est donc encore un essai de transaction tenté seulement dans d’autres conditions que les précédens. Sur quelles bases s’opérera cette transaction ? C’est là ce qu’il est impossible de savoir encore d’après la composition un peu hétérogène du ministère. Si les cortès ne sont pas convoquées, ce ne sera guère que la politique de ces derniers mois continuée ; si elles sont réunies, nous ne savons comment le nouveau cabinet fera pour se soutenir, à moins de procéder à une dissolution nouvelle : là en est pour le moment la situation de l’Espagne.

Au fond de l’Amérique du Sud, la République Argentine vient encore d’avoir un changement de décoration politique, une révolution nouvelle, ou plutôt la fin d’une révolution, si tant est que ce soit la fin. On sait quels mouvemens successifs, contradictoires et toujours anarchiques ont eu lieu à Buenos-Ayres depuis la chute de Rosas. Menace d’un soulèvement, coup d’état, révolution contre le coup d’état, insurrection contre insurrection, tout cela a rempli l’année 1852, et tout cela avait fini par le siège en règle que le général Urquiza, chargé des pouvoirs du reste de la confédération, était venu mettre devant la ville de Buenos-Ayres. Il y a six mois déjà que ce siège durait avec des alternatives diverses, entremêlé chaque jour d’engagemens et d’essais infructueux de médiation et de conciliation. À qui est restée la victoire ? Est-ce au plus fort, au plus habile ou au plus conciliant ? Non ; la lutte s’est tranchée par de tout autres moyens, qui dénotent ce qui vient se mêler de corruption à toute cette anarchie des républiques américaines. La réalité est que pendant tout ce siège c’était à qui corromprait les agens de l’autre. La vénalité a commencé la débâcle, la défection des troupes l’a achevée. On n’a point oublié que le général Urquiza, en même temps qu’il assiégeait par terre la ville de Buenos-Ayres, avait mis devant le port un blocus maritime. Quelques forces navales que le directeur provisoire avait pu réunir étaient chargées d’exécuter ce blocus, et à la tête de ces troupes se trouvait, non un Argentin, comme on pourrait le penser, mais un Américain du Nord du nom de Coe. Pourquoi un Américain n’aurait-il pas commandé la flotte d’Urquiza ?