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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/328

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Un des traits les plus caractéristiques de l’église en Espagne est d’avoir vécu toujours profondément identifiée à la destinée nationale; elle a partagé toutes les fortunes du pays. Ce qu’on a appelé ses passions, ses fanatismes, était le plus souvent des fanatismes nationaux non moins que des fanatismes religieux. L’inquisition elle-même, cette terrible inquisition, a été à l’origine une arme forgée par l’instinct de nationalité autant qu’un instrument de règne pour le catholicisme. Nulle part on n’a vu peut-être au même degré cette intime et forte adhérence à la vie d’un peuple, cette mystérieuse solidarité dans tous les sentimens, dans tous les instincts. Aussi les mesures qui ont successivement atteint le clergé espagnol dans les diverses périodes de la révolution ont-elles été infiniment moins populaires qu’on ne pourrait le supposer dans le sens strict de ce mot. Les masses populaires ne voyaient point une ennemie dans l’église, qui se mêlait à toute leur existence, qui était principalement protectrice pour elles, qui avait du pain pour tous les pauvres, pour tous les vagabonds même, au seuil de ses couvens, et qui était la fondatrice de ces universités où les enfans du peuple trouvaient depuis longtemps une instruction gratuite. Si l’église d’Espagne a pu voir s’amoindrir sa situation, ce n’est point qu’elle manquât de racines dans le peuple; c’est parce qu’il est malheureusement vrai qu’elle avait cessé d’être la lumière, le conseil, le guide de cette société déclinante et pressée de se rajeunir. Comme l’influence morale se déplaçait dans la société, on a été conduit à tenter de déplacer aussi les prérogatives. L’ensemble des tentatives dirigées contre l’autorité de l’église n’était ainsi qu’une œuvre toute politique, nullement nationale ni populaire, compliquée par les fureurs factices et spoliatrices des passions révolutionnaires.

Rien ne serait plus curieux que l’histoire de l’église en Espagne. C’est d’elle surtout qu’on pourrait dire : Comme elle a été à la peine, elle a été à l’honneur, — pour être ensuite, il est vrai, à la décadence. Après avoir partagé cet immortel combat d’une nationalité occupée à se reconquérir elle-même, elle a joui pendant plusieurs siècles du plus souverain ascendant, — ascendant justifié par tout ce qui peut faire la prééminence sociale d’un grand corps. L’action de l’église est partout au-delà des Pyrénées; elle est dans la politique, elle est dans les arts et dans les lettres. Les plus rares écrivains sortent de l’église ou vont y aboutir sans effort. Lope de Vega fut prêtre comme Calderon, comme Moreto; Tirso de Molina était un frère de la Merci; le lyrique Rioja était du saint-office; dans l’histoire, le clergé espagnol compte un Mariana; parmi les moralistes, l’évêque de Mondoñedo et don Antonio de Guevara; dans la littérature mystique, un Jean de la Croix ou un Louis de Léon, un Davila ou un Louis de