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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/332

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haut, les universités tendaient au même but. Dans celle d’Alcala, cinq cents étudians pauvres, nourris et entretenus, suivaient des cours de tout genre. Cinq établissemens disposaient de deux cent cinquante bourses. A l’université catalane de Cervera, il y avait plusieurs collèges, ceux de l’Assomption, de San-Carlos, de Santa-Cruz. Le premier seul exigeait une rétribution annuelle de quatre onces d’or; celui de San-Carlos se composait de boursiers désignés et envoyés par les évêques de la province. Le collège de Santa-Cruz, particulièrement consacré aux pauvres, comptait d’habitude plus de cent jeunes gens sans ressources. Il y avait des internes et des externes; ceux-ci recevaient un pain de trois livres et la soupe tous les deux jours. Dans les universités en général, du reste, les droits soit pour l’inscription, soit pour les divers grades étaient d’une extrême modicité. Le doctorat conférait la noblesse personnelle. Balmès a été l’un des derniers peut-être à se former dans ces conditions du vieil enseignement espagnol. Il avait une beca, — une bourse, — au collège de San-Carlos. Quand vint pour lui le moment de l’ordination, et lorsqu’il se présenta devant l’évêque de Vich, don Jésus de Corcuera, cet homme sage et prévoyant s’arrêta devant le jeune prêtre en lui disant : « Et toi, que veux-tu ? — Monseigneur, une cure, répondit Balmès. — Reviens à l’université, et étudie, » ajouta l’évêque. Balmès étudia en effet, il étudia non-seulement la théologie, mais encore l’histoire, la philosophie, la jurisprudence, la littérature, les mathématiques elles-mêmes. C’était une intelligence ardente et active dans un corps débile, qui trahissait souvent chez lui la puissance de la volonté. Il avait de singulières façons d’étudier, qui scandalisaient fort les praticiens de l’université. Quelquefois il s’enfermait à l’obscurité, seul, la tête dans les deux mains, méditant et songeant, fécondant par sa propre pensée ce qu’il avait lu, la Somme de saint Thomas, la Philosophie de l’éloquence de Capmany, ou Don Quichotte. « Lire peu, bien choisir ses auteurs et penser beaucoup, disait-il, telle est la vraie méthode. Si l’on se bornait à savoir ce qui se trouve dans les livres, les sciences ne feraient jamais un pas. Il s’agit d’apprendre ce que les autres n’ont jamais su. » C’est ainsi qu’il amassait ce fonds immense qui fait la juste et saine fécondité de l’écrivain. Docteur de l’université de Cervera, Balmès se retrouvait bientôt simple professeur de mathématiques à Vich. Notez que c’était l’époque où la guerre civile rugissait dans toute l’Espagne et principalement dans la Catalogne. Le drame des événemens venait se mêler à ce travail intérieur d’un jeune esprit. « Plus d’une fois, dit Balmès dans une sorte d’autobiographie qu’il a écrite sous le titre de Vindicacion personal, — plus d’une fois il est arrivé que le tocsin ou la générale venait interrompre nos calculs; s’il était possible