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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/334

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transportée à Barcelone, au camp d’Espartero, comptant subjuguer par son ascendant moral ou réduire par son autorité le chef militaire à demi rebelle, et elle ne trouvait autour d’elle que des pièges et des émeutes. Par une coïncidence singulière, dans une de ces émeutes périssait, victime de son ardeur monarchique, un jeune avocat catalan du nom de Balmès, qui n’avait cependant rien de commun avec le publiciste. C’est le lendemain que paraissaient, à Barcelone même, les Considérations politiques sur la situation de l’Espagne, œuvre de courage autant que de talent. La révolution, on le sait, restait matériellement victorieuse dans cette lutte : moralement, elle était vaincue. Elle était vaincue, non par ce seul fait de la publication d’une brochure émanée d’un jeune prêtre inconnu et jetée dans le tourbillon d’une tempête populaire,. mais parce que cette brochure, à travers les obscurités du moment, allait rechercher la pensée nationale, aussi antipathique aux solutions révolutionnaires dans l’ordre religieux que dans l’ordre politique.

Il y a ceci de remarquable dans les premiers essais de Balmès, — les Observations et les Considérations, — c’est qu’ils sont comme le programme de sept années de polémique et de travaux intellectuels ; ils contiennent le germe de toutes les idées qui alimenteront les discussions du Pensamiento de la nacion, ou qui se développeront dans le Protestantisme en théories religieuses, sociales et morales. Dans les Observations sur les biens du clergé, Balmès ne s’arrête pas aux côtés secondaires de la dépossession ecclésiastique; il montre les sociétés européennes à leur naissance et dans leur marche, l’église servant d’instrument à chaque progrès de la civilisation, contribuant à préserver l’Espagne en particulier de l’affreuse plaie du paupérisme, et il achève ce victorieux tableau en plaçant les gouvernemens spoliateurs en face du principe de la propriété violée sous une de ses formes, au moment où déjà on entend par intervalle ces cris faméliques qui s’échappent du sein des multitudes de l’Occident contre toute espèce de propriété. Dans les Considérations politiques, nées au milieu des scènes de Barcelone, l’auteur ne se borne pas à l’incident qui se déroule sous ses yeux; il décompose la situation de la Péninsule, trace la généalogie des partis et des opinions, surprend leurs mobiles et leurs faiblesses, oppose les réalités traditionnelles aux vaines et artificielles combinaisons des systèmes préconçus, met à nu les vices des régimes et des sociétés modernes, et de cette vaste anarchie espagnole il dégage les élémens d’une reconstitution large et vigoureuse, que la pensée du publiciste catalan allât parfois fort loin, cela se peut; mais ses vues générales, entremêlées souvent de conjectures, de portraits, d’aperçus d’une spirituelle et profonde pénétration, se coordonnaient et s’enchaînaient avec une force singulière, et dans leur