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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/361

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Dépendant entièrement, quant au travail de ses ouvriers, quant à son existence même, de ses rapports avec le gouvernement, l’industrie de Lodève a pris soin d’approprier ses ateliers à sa fabrication spéciale; elle trouve dans les montagnes voisines des laines qui donnent un feutre extrêmement fort. De plus, la teinture en bleu, si importante pour l’armée, est dans ce pays d’une remarquable solidité[1]. Ces circonstances sembleraient au premier abord devoir garantir contre toute atteinte le domaine du travail local. Cependant d’autres fabriques qui ont pris rang aux dernières adjudications du ministère de la guerre pourraient inquiéter plus tard les manufacturiers de ce pays, s’ils ne s’ingéniaient pas à profiter chaque jour de plus en plus des avantages de leur position.

Les conditions générales de la fabrique changent complètement à Bédarieux, à peine séparée pourtant de Lodève par quelques lieues. La route est, il est vrai, des plus difficiles. Après avoir suivi une délicieuse vallée sans issue, on gravit, par une suite de détours presque inextricables, une des plus hautes montagnes de la contrée, la montagne de l’Escandolgue. Aux environs de Bédarieux, les collines sont moins hautes, moins serrées et aussi moins pittoresques qu’autour de Lodève. Bien qu’on remarque à Bédarieux quelques larges et belles rues, il s’y trouve aussi des ruelles étroites, qui, dans une ville de dix mille âmes, présentent tous les inconvéniens des quartiers les plus décriés de nos grandes cités manufacturières. La rue Rougeoux, par exemple, et le groupe de ruelles aboutissant au carrefour appelé le Plan du Rempart, sont pour les familles ouvrières des asiles vraiment lamentables.

L’industrie de Bédarieux, qui fait vivre plus de cinq mille individus dans la ville et de nombreux travailleurs dans les campagnes, s’est complètement transformée depuis vingt à vingt-cinq ans. La confection des bas de laine, autrefois seul élément du travail de la fabrique, a complètement disparu : elle a cédé la place à la fabrication des draps unis et des étoffes de fantaisie dans le genre d’Elbeuf. A l’origine, on avait dû appeler de Normandie des ouvriers exercés au maniement du métier Jacquart, de même qu’Elbeuf avait tiré de Lyon ses premiers tisserands de la nouveauté. Maintenant on peut se passer de tout concours extérieur. Bédarieux possède à peu près en France le monopole des draps pour casquettes, et vend de 200 à 250,000 pièces d’étoffes par an pour cet unique article. Après la draperie proprement dite, le travail embrasse encore les flanelles et de légers tissus de laine et coton appelés lainettes ou filoselles. Un extrême bon

  1. Les laines sont teintes avant d’être filées pour toutes les couleurs, excepté l’écarlate, que les fabricans sont autorisés, par les cahiers des charges, à faire teindre en fil, à cause de s)n extrême délicatesse. Pendant longtemps, la couleur jonquille a été également teinte en fil; aujourd’hui on exige la teinture en laine.