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qui sait, sinon deviner, au moins suivre promptement la manifestation des goûts publics. Bédarieux ne tient néanmoins que le second rang parmi les cités industrielles du district montagneux où règne la fabrication des draps : la première place revient à Mazamet.

Située loin de toutes les routes commerciales, loin même du canal des Deux-Mers, à l’extrémité du département du Tarn, au pied de la Montagne-Noire, que la route suit depuis Saint-Pons, Mazamet n’était, il y a quarante ans, qu’une bourgade insignifiante où se fabriquaient seulement quelques grossières étoffes de laine. L’industrie en a fait rapidement une cité riche, active, ayant des relations étendues, et qu’on a pu surnommer, sans trop la flatter, l’Elbeuf du sud. Les familles ouvrières y composent au moins les deux tiers de la population, dont le chiffre dépasse déjà dix mille âmes. Quoique la ville soit assez resserrée, on n’y rencontre point de ruelles étroites et repoussantes, comme à Bédarieux et à Lodève ; dans les prairies qui l’avoisinent du côté de l’ouest et du nord, elle pourra s’épandre en toute liberté à mesure que le travail y appellera une population plus nombreuse. Ici tout est nouveau, mais tout s’est élevé sans bruit. L’accroissement de Mazamet n’a pas eu, comme celui de Roubaix, Saint-Quentin, Saint-Étienne, un grand retentissement extérieur : de même que l’herbe croît sous les pieds de l’homme sans qu’il la voie pousser, de même s’est accrue la cité des Montagnes-Noires.

Les premiers pas de Mazamet dans la grande industrie sont postérieurs à 1830; mais à une époque plus lointaine, vers le commencement du siècle, alors qu’il se faisait tant de bruit dans le monde, des élans industriels énergiques s’étaient déjà manifestés sur ce sol. Douze hommes avaient alors formé une société de fabrication, et, par la réunion de leurs ressources, assez peu considérables isolément, ils avaient donné naissance à une force collective puissante. Ces douze argonautes qui, sans sortir de leur pays, cherchaient aussi la toison d’or, essayèrent de fabriquer quelques articles nouveaux et de modifier un peu les anciens ; ils conduisirent leurs affaires de telle sorte, qu’au bout d’un court intervalle la plupart purent fonder chacun une maison particulière. Ce premier exemple donné, les destinées de la ville étaient fixées.

Dans la position géographique fort ingrate qu’occupe Mazamet, deux circonstances inhérentes au pays même secondèrent pourtant son essor. Parmi les rudes habitans des montagnes voisines, la main-d’œuvre était à bas prix ; de plus, la nature offrait libéralement aux manufacturiers des chutes d’eau abondamment alimentées par les torrens. La petite rivière de l’Arnette, qui prend sa source au village de Pradel, et dont un canal a rendu l’usage facile, suffit pour mettre en mouvement tous les appareils de la localité.

Des conditions d’un autre ordre, indispensables pour assurer le