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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/400

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navigation sur les importations faites par des navires étrangers. En même temps l’exportation des pommes de terre et des légumes secs a été prohibée. Ce n’est point en un jour sans doute que des mesures de ce genre peuvent produire leur effet ; elles atteignent leur but insensiblement, en facilitant par tous les moyens les approvisionnemens intérieurs. Si elles ne produisent pas des baisses subites dans les prix des subsistances, elles conjurent du moins les hausses trop brusques qui ajoutent au mal réel le mal de l’imagination, et, par une lente influence, elles arrivent à adoucir les conditions alimentaires, chose humaine, utile et désirable aux approches d’une saison où la misère sévit souvent avec le froid. Ce qui serait utile aussi, c’est que, venant en aide au gouvernement dans les campagnes surtout où l’action administrative ne peut toujours atteindre, chacun agît dans sa sphère. Cet effort de tous ne serait point certes le moyen le moins efficace pour tempérer une situation difficile et toujours douloureuse, lors même qu’elle n’arrive point à être critique.

La vie intérieure d’un pays est ainsi faite, que tout s’y mêle chaque jour, les préoccupations les plus fugitives comme les préoccupations les plus sérieuses, les questions générales et tout ce qui touche aux hommes ayant eu ou ayant encore une figure dans le monde. Un homme éminent qui disparaît de la scène, c’est aussi un événement pour une société comme la société française, et c’est l’honneur de notre pays de le ressentir. Cette impression, elle s’éveillait naturellement ces jours derniers en présence de la tombe ouverte de M. Arago. Nul ne pouvait oublier la place que cet homme illustre s’était faite dans la science. M. Arago était né en 1786. Voué dès sa jeunesse à l’étude des problèmes scientifiques, il y avait toujours porté une activité singulière, qui s’était manifestée par de nombreux et remarquables travaux. Nous n’avons point à coup sûr à parler des découvertes qui ont illustré son nom. Ce qui l’a le plus popularisé peut-être, c’est la nature même de son talent. M. Arago a été ce qu’on nomme un vulgarisateur de la science. Bien des savans aiment à garder leurs secrets ; ils en jouissent seuls dans le sanctuaire étroit des initiés. C’est le caractère de M. Arago d’avoir voulu mettre la science à la portée de tout le monde en divulguant ses procédés, en cherchant ses applications pratiques, en éclaircissant tous ses mystères par une parole élégante et facile, et il a réussi souvent, comme on sait, dans cette œuvre réputée presque impossible. C’est sa gloire d’avoir rendu la science accessible et intéressante, attachante même. Malheureusement M. Arago avait succombé à un piège redoutable. Homme de science, il s’était livré à la politique, et c’est ainsi qu’ajoutant à la juste popularité du savant la popularité moins sûre de l’homme de parti, il s’était vu porté au gouvernement provisoire en 1848 : merveilleux gouvernement, où il y avait des savans, des poètes, des historiens, des journalistes, — un peu de tout enfin, excepté des hommes d’état. Nous prendrons la liberté, même en présence de la mort, de ne point compter cette époque parmi les titres de gloire de M. Arago, bien qu’il fût d’ailleurs un des plus modérés des dictateurs de ce temps. C’est lui, on s’en souvient, qui fut réduit un jour à faire à M. Louis Blanc la singulière proposition de descendre dans la rue pour que chacun fît appel à ses partisans, et ce jour-là certainement il dut faire des réflexions amères sur le degré de civilisation où il avait contribué à