Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intelligence allemande sous toutes ses formes, même les plus bizarres, même quand elle s’appelle M. Feuerbach ou M. Stirner. L’auteur n’écrit point une histoire, il décrit une situation, il analyse un livre, il peint un personnage, et dans ce cadre il fait entrer le mouvement des partis, la lutte des systèmes. Il n’est point certes nécessaire de dire que toutes les théories révolutionnaires et athées de l’Allemagne trouvent dans M. Taillandier un adversaire éloquent qui leur rend un mauvais service, car il les montre impitoyablement sous leur vrai jour. Combien d’autres paires ingénieuses et fortes, où l’auteur aide à pénétrer des caractères comme ceux du roi de Prusse actuel et de M. de Radowitz, où Il ne laisse plus rien à dire sur des écrivains comme Louis Bœrne ! Le portrait de ce dernier est une des plus heureuses inspirations de la critique élevée de M. Taillandier. Il y a du reste un fait qu’on peut observer dans ce remarquable livre, c’est que l’Allemagne, malgré l’apparence du plus vaste mouvement intellectuel, subit la loi commune de notre temps. Il y a bien des écrivains, il n’y a plus l’inspiration d’autrefois. Schiller, cette âme idéale, Goethe, cette intelligence puissante, Jean-Paul, Louis Bœrne, tous ces esprits d’élite dans des genres différens s’en sont allés successivement, et après eux il semble que ce soit une sorte d’invasion tumultueuse et assez stérile dans le domaine de l’art et de l’imagination. Aujourd’hui peut-être une inspiration plus pure et plus saine est-elle près de renaître, et ce serait certes un mouvement qui trouverait en M. Taillandier, de ce côté du Rhin, le plus compétent et le plus sympathique des auxiliaires.

La vérité est que partout, en France comme en Allemagne, il y a un besoin indicible de cette inspiration plus saine, et le plus clair symptôme de cette phase nouvelle dans la littérature, c’est la décadence des écoles d’il y a vingt ans, c’est l’oubli même dans lequel sont tombées quelques-unes des œuvres qui ont fait le plus de bruit. En réalité, l’école romantique, pour lui laisser son nom, est entrée dans l’histoire. S’il survit encore quelque chose qui s’appelle ainsi, il ne faut pas trop y croire : ce doit être quelque fantôme obstiné à ne point se plier aux conditions nouvelles. Ce qu’il y avait d’heureux dans l’inspiration qui se fît jour sous la restauration, on peut l’apercevoir aujourd’hui, comme aussi on peut voir ce qu’il y avait de puéril et d’excessif. Ainsi qu’il arrive toujours, l’école romantique a péri par elle-même, par ses propres excès, par toutes les violences faites en son nom à l’art et à la langue. Il en est résulté l’épuisement rapide des écrivains qui se sont jetés dans cette voie, la lassitude et l’indifférence du public, et enfin cet état de réaction où tous les esprits en viennent à rechercher d’autres élémens d’intérêt ou d’émotion. Ces idées, qui ne sont point nouvelles, l’auteur d’un petit livre de critique, intitulé Portraits à la Plume, les exprime à son tour. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur plus d’un de ces portraits qu’esquisse M. Clément de Ris. On pourrait y trouver la trace d’une assez curieuse incertitude de goût et de jugement. Ce sont bien plutôt quelques pages légères, écrites un peu sur tout le monde, que des analyses sérieuses des talens qu’il étudie; mais ce que nous voudrions remarquer comme un symptôme, c’est ce que dit l’auteur dans quelques mots de préface. Oui, il a raison quand il signale la nécessité pour l’esprit littéraire de se renouveler, de se retremper à quelque source fortifiante, de renouer les traditions de l’intelligence nationale. Il n’est point le