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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/42

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droite. Les triumvirs ou plutôt les décemvirs, car le comité n’est pas encore divisé, n’ont plus rien qui leur porte ombrage. « Maintenant, s’écrie Robespierre, nous sommes dégagés des conspirateurs, nous n’avons plus d’obstacle à rendre le peuple heureux. » Et pour travailler au bonheur du peuple, il fait ajouter quatre sections au tribunal révolutionnaire, afin d’imprimer à la justice une salutaire activité, afin que le peuple ait la consolation de voir tomber moins lentement la tête de ses ennemis. Puis, comme en dépit de ce renfort le sang ne coulait pas assez vite, comme les prisons, encombrées par la loi des suspects, ne se vidaient pas assez tôt, le génie révolutionnaire enfante son chef-d’œuvre la loi du 22 prairial, la loi des condamnés, la loi de l’extermination en masse. Plus d’instruction, plus d’interrogatoires préalables, plus de témoins, plus de défenseurs; rien que des preuves morales et la conscience du juge ! « La convention frémissait d’épouvante, nous dit M. de Barante, en écoutant Couthon développer ce projet. » Il fallut pourtant le voter séance tenante, sans sursis, sans amendement. « point de délai, répondait Robespierre à quelques voix timides murmurant l’ajournement, vous devez décréter sur-le-champ, parce que vous n’êtes plus sous l’empire des factions, parce que tout délai serait pour les conspirateurs un moyen de corrompre l’opinion; quiconque est embrasé de l’amour de la patrie doit accueillir avec transport le moyen de frapper ses ennemis. »

Voilà comment le dictateur usait de sa victoire. Devenu tout-puissant, maître absolu, il semblait de plus en plus avide de vengeance et de sang. Moins on lui résistait, plus il était impitoyable. Les quatre derniers mois de son règne, depuis la mort de Danton jusqu’au 9 thermidor, virent tomber plus de victimes que tous les autres ensemble. C’est la terreur dans la terreur. A Paris, sous les yeux de la convention et des triumvirs, le nombre des exécutions alla toujours croissant jusqu’à l’heure de la délivrance; mais là du moins les têtes ne tombèrent qu’une à une. En province, on perdait moins de temps : les mitraillades de Lyon avaient enseigné un moyen plus sommaire de rendre la justice; on en usa pendant ces quatre mois avec d’affreux raffinemens. Les noyades de Nantes, les massacres d’Arras, les boucheries de Bédouin et d’Orange, firent presque oublier les tueries des Brotteaux.

Faut-il croire, comme le veulent quelques historiens, que Robespierre fût las et dégoûté de son système; que s’il eût encore vécu seulement quelques jours, il allait devenir clément et modéré? Est-il vrai que la terreur, qui cessa par sa chute, eût également cessé par son triomphe? De quelle preuve appuie-t-on cette indulgente conjecture? On cite ce mot de Saint-Just : « Encore quelques