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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/430

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christianisme, introduit au Ve siècle chez les Tcherkesses, s’y était maintenu jusqu’au XVIIIe siècle. Alors parut un homme, un chef intrépide et exalté, Scheick-Mansour, qui joua dans le Caucase à la fin du dernier siècle le même rôle qu’a repris aujourd’hui le prophète Shamyl. C’est en 1785 qu’il est pour la première fois question de Scheick-Mansour dans les traditions du Caucase. D’où venait ce fougueux prédicateur de l’islamisme ? C’était, à en croire les Russes, un émissaire de la Turquie; payé par elle et investi de souverains pouvoirs, il avait mission de détruire chez les montagnards un christianisme mal affermi, et de les préparer ainsi à des luttes plus sérieuses contre les Russes. L’histoire très réelle de Scheick-Mansour est devenue un thème de légendes fabuleuses, et il est bien difficile de connaître aujourd’hui la vérité sur l’audacieux aventurier. Ce qu’il y a de certain, c’est que son nom est vénéré des Tcherkesses. Les poètes ont consacré son souvenir dans leurs vers, et transmis aux générations la gloire religieuse et guerrière du prophète. « Je chante, — dit un ami de M. Bodenstedt, le poète et théologien Kouli-Khan, — je chante Scheick-Mansour, le héros fort, le grand semeur du champ de la croyance. Sans tache dans la vie de chaque jour et terrible au milieu de la bataille, il a ouvert le chemin de la vérité à tous les peuples du Caucase, aux Tcherkesses et aux Kabardiens, comme aux Lesghes et aux Tchétchens. Sa langue répand les germes sacrés, ses yeux dissipent la nuit de l’erreur, son épée étincelante déroule les œuvres de la foi. De pays en pays, il s’avance en triomphe, fécondant le champ de l’islam avec le sang impur du Moscovite. Des bords de la mer Caspienne jusqu’au pays des Adighés, c’est lui qui fait flotter l’étendard de Mahomet! » Après six ans de guerres et de victoires, Scheick-Mansour tomba aux mains des Russes lors de la prise de la forteresse d’Anapa, en 1791, et mourut misérablement au fond d’un cachot dans l’île Szolowetzkoy. Les princes et les nobles de la nation des Adighés sont convertis depuis soixante ans à la religion de Scheick-Mansour; quant aux paysans, ils gardent encore, au milieu de leurs croyances nouvelles, certains dieux du paganisme primitif et maintes traditions chrétiennes horriblement défigurées.

Les Tcherkesses, en comprenant sous ce nom les Kabardiens, les Abschases et les Adighés, forment une population de six cent mille âmes. C’est du moins le chiffre indiqué par les statistiques russes. MM. Longworth et Bell portent ce chiffre à un million. Si les Tcherkesses étaient réunis sous un seul chef, il leur serait facile de rassembler sur un point une armée de vingt mille hommes, et dans l’organisation actuelle de la ligne du Kouban, il n’est pas une garnison qui pût leur résister. Heureusement pour les Russes, les Tcherkesses forment comme une république fédérative. Chaque tribu a sa