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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/485

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la Casbah, et où l’on n’arrive cependant qu’après une montée d’une heure à travers les sites les plus variés, et dont quelques-uns sont certainement au nombre des beaux spectacles qu’il y ait dans l’univers. D’El-Biar on redescend vers Cheragas par une pente douce et légèrement ondulée, sur une étendue de 8 kilomètres environ; mais des deux côtés la route est encore égayée par des plantations, des habitations ou des cultures. A Cheragas, on est au pied des revers occidentaux du Bouzaréah; avec la plaine de Staouéli commence le règne de la broussaille, de la nature inculte, âpre et sauvage. Rien de triste et de désolé comme l’immense bassin de cette plaine limitée au nord par la mer, au sud par le prolongement des collines du Sahel. C’est sur la crête de ces collines qu’on a établi stratégiquement la ligne de villages que nous avions à visiter ce jour-là même ou le lendemain. Nous en avions déjà vu quelques-uns, et nous étions sur la route d’Ouled-Fayet à Saint-Ferdinand, d’où nous voulions gagner Maëlma, situé à deux lieues de là. La nuit venait. Nous cheminions sur un plateau élevé d’où nous découvrions à droite la mer, et, entre la mer et nous, la plaine de Staouéli, image de l’abandon et de la désolation. Une triste broussaille, décharnée et calcinée par l’incendie que les Arabes y allument chaque année, bordait les deux côtés de la route et semblait tendre vers nous ses bras desséchés et noircis. Pas un bruit autre que celui de nos pas dans cette morne immensité, pas un objet dont la vue rappelât le monde des vivans. Tout à coup une bouffée de vent nous apporte un petit son aigu, lointain, presque imperceptible, un son complètement oublié et encore plus inattendu. Nous nous arrêtons, nous nous retournons, l’oreille et les regards tendus. L’Angelus! Oui, c’est bien cela; c’est l’Angelus sonné au couvent des trappistes! Que d’impressions ce jour-là dans ce coup de cloche!... et il me semble que je m’émeus encore plus que je ne voudrais en le rappelant.

A Cheragas, un prêtre du dehors dit quelquefois la messe dans un des quatre blockhaus qui flanquent le fossé d’enceinte, et qui a reçu la destination de chapelle. C’est là qu’en sont, quand ils en sont là, tous les villages, à l’exception de Deli-Ibrahim, de Sainte-Amélie, de Douéra, de Kouba, de Draria et de Boufarik, qui ont chacun une église. A Saint-Ferdinand, le colonel Marengo et son gendre, M. Cappone, ont construit, pour l’usage de leur famille et pour celui des habitans, une chapelle que Mme Cappone se plaisait à orner et à entretenir. Partout j’ai entendu les colons réclamer un clocher qui, comme ils le disaient, leur rappelât qu’ils sont des hommes et qu’ils ont un Dieu, ainsi qu’un coin de terre sainte qui pût distinguer leur sépulture de celle des bêtes sauvages dont ils sont entourés. Dans ces vastes broussailles d’Afrique, l’homme se sent trop petit, trop isolé, trop séparé de ses semblables, pour ne pas chercher ailleurs la dignité et la force dont il a besoin. On verra à quelles scènes navrantes cette lacune a quelquefois donné lieu.

J’ai déjà nommé Deli-Ibrahim parmi les villages de la première génération, génération toute militaire, ou plutôt cantinière, qui se formait autour des camps pour exploiter les besoins de l’armée; on lui donnait néanmoins ou elle prenait des terres, d’abord pour se loger et ensuite pour faire des foins. La fondation de Deli-Ibrahim remonte à 1832, lorsque le camp établi en ce lieu n’était qu’un poste avancé d’Alger. Les colons y vécurent, à l’origine, de leurs cabarets et des transports qu’ils effectuaient, avec des