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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/549

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philosophe par devoir et philosophe par inclination. Les hommes ne sont presque jamais placés dans le monde selon leur choix; de là vient qu’il y a tant de cordonniers, de prêtres, de ministres, de princes mauvais. » La réplique n’est peut-être pas trop bonne, mais elle est au moins bien modérée. Plus tard, après leur brouille et leur raccommodement, Voltaire, ranimant cette querelle éteinte, s’avise de publier dans ses Questions sur l’Encyclopédie un morceau où Maupertuis est fort mal traité. Toute la colère de Frédéric lui revient; il écrit à d’Alembert pour se plaindre amèrement de Voltaire, il écrit à Voltaire dans le même sens. Loin de s’excuser, celui-ci répond par une lettre très ferme, où il lui reproche durement ses défauts : « Vous vous êtes toujours fait un malheureux plaisir d’humilier les autres hommes, plaisir indigne de vous, etc. » Toute la lettre est sur ce ton. On s’attendrait à une rupture. — La réponse de Frédéric commence ainsi : « Je sais très bien que j’ai des défauts, et même de grands défauts. Je vous assure que je ne me traite pas doucement, et que je ne me pardonne rien quand je me parle à moi-même. » Et il continue avec autant de calme, tant qu’il ne s’agit que de ce qui lui est personnel; il ne reprend son aigreur que quand il en vient à parler de ce qui fait le sujet de leur querelle, et enfin termine par des complimens.

Cette modération, qu’il n’oublia qu’une seule fois, il eut encore à l’exercer envers Voltaire après sa mort. Beaumarchais, qui préparait l’édition posthume des Œuvres de Voltaire, fit proposer à Frédéric de détruire un fragment de prose trouvé dans les papiers de Voltaire, et où le roi de Prusse était très mal traité : c’étaient les Mémoires. Celui-ci refusa l’offre de l’éditeur et laissa même circuler l’ouvrage dans ses états. Pour comprendre tout ce que l’action de Frédéric eut de magnanime, qu’on se rappelle les imputations scandaleuses que contiennent ces trop charmans Mémoires. Quelques années auparavant, le roi avait adressé à l’Académie de Berlin un éloge de Voltaire, où, sans rappeler leurs querelles, il loue avec effusion les qualités de l’homme et le génie de l’écrivain,


II.

Ce goût si vif pour les travaux de l’esprit, ce respect sérieux pour la pensée et pour son indépendance, qui éclate dans la correspondance de Frédéric avec Voltaire et d’Alembert, se retrouve dans ses rapports avec les gens de lettres dont se composait l’académie fondée ou restaurée par lui à Berlin.

L’un de ses ancêtres, l’électeur Frédéric-Guillaume, avait donné l’exemple d’une hospitalité généreuse envers les Français que la