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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/572

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en présence du prince royal de Suède, depuis Gustave III, qui voyageait sous le nom de comte de Haga, avait trouvé moyen d’intercaler dans son discours une tirade très vive contre le Mariage de Figaro, qui fut fort applaudie par ceux-là même qui la veille avaient applaudi à outrance la pièce de Beaumarchais. Après la séance, le prince royal de Suède, complimentant M. Suard, lui dit : « Vous nous avez traités un peu sévèrement, peut-être avec raison ; mais, ajouta-t-il en riant, je suis si inaccessible à la raison, que je vous quitte pour aller entendre une troisième fois Figaro. — Beau fruit de mon sermon, mon prince ! » dit M. Suard[1].

De son côté, l’auteur du Mariage de Figaro, comme pour sanctifier sa pièce, en consacrait le produit à des œuvres de charité.


« Je propose, écrivait-il au Journal de Paris du 12 août 1784, un institut de bienfaisance vers lequel toute femme reconnue pauvre, inscrite à sa paroisse, puisse venir, son enfant au sein, avec l’attestation du curé, nous dire : — Je suis mère et nourrice, je gagnais 20 sols par jour, mon enfant m’en fait perdre 12. 20 sols par jour font 30 livres par mois ; offrons à cette nourrice 9 francs de charité ; les 9 livres que son mari ne donne plus à l’étrangère, voilà 18 livres de rentrées. La mère aura bien peu de courage si elle ne gagne pas 8 sols par jour en allaitant, voilà les 30 livres de retrouvées… Quand je devrais être encore traité d’homme vain, j’y mettrais tout mon Figaro : c’est de l’argent qui m’appartient, que j’ai gagné par mon labeur, à travers des torrens d’injures imprimées ou épistolaires. Or, quand les comédiens auront 200 mille francs, mes nourrices en auront 28 mille ; avec les 30 mille de mes amis, voilà un régiment de marmots empâtés du fait maternel ; tout cela paie bien des outrages. »


La Comédie-Française, ne voulant pas rester au-dessous du zèle de Beaumarchais, consentait de son côté à consacrer à l’institution des pauvres mères nourrices le produit entier de la cinquantième représentation, et Beaumarchais remplaçait tous les couplets de la fin par des couplets de circonstance qui ne figurent point dans ses œuvres.

Suzanne.

Pour les jeux de notre scène
Ce beau jour n’est point fêté.
Le motif qui nous ramène
C’est la douce humanité.
Mais quand notre cinquantaine
Au bienfait sert de moyen,
Le plaisir ne gâte rien.

    qu’ils se mettent plus à l’aise dans la pratique. (Voir les lettres de Diderot à Mlle Voland, t. II, p. 411 et 433.)

  1. Garat, dans ses Mémoires sur Suard, arrange autrement cette phrase du prince de Suède. Je choisis la version publiée par Mme Suard comme plus vraisemblable.