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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/58

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avait trouvé la France façonnée à l’anarchie; en se jouant du droit, elle n’avait pas bravé nos habitudes, tandis qu’en 1849 il eût fallu, pour oser mettre au jour de nouveaux décrets de fructidor, affronter l’incommode exemple de 1830, c’est-à-dire d’une révolution modérée, équitable, respectueuse des droits de tous, repoussant comme de dangereux poisons ces remèdes empiriques, ces expédiens de tyrannie qui ne prolongent la vie d’un gouvernement qu’aux dépens de celui qui doit suivre, c’est-à-dire aux dépens du pays lui-même. Sans doute, il n’est pas sans péril de gouverner un peuple en respectant le droit toujours, quoi qu’il arrive; il se peut qu’on y succombe, mais alors même on a servi les grands, les vrais intérêts de ce peuple. Il n’y a de chutes mortelles pour les nations que celles qui les exposent à des réactions méritées. Quoi qu’on en ait pu dire, la légalité ne tue pas; elle ne nous a pas tués, car c’est par elle, c’est sur le fonds amassé par elle, que nous vivons encore.

.M. de Barante interrompt son récit au dernier jour de la convention, au premier jour du directoire. On lui a dit, non sans raison, qu’il n’avait pas achevé sa tâche, que l’histoire du directoire était l’appendice obligé de l’histoire de la convention, que les membres de cette assemblée n’avaient pas seulement prorogé leurs pouvoirs, mais imposé un devoir de plus à leur historien, qu’il était tenu par conséquent de les suivre sur leur nouveau théâtre. Il y a là quatre années qui lui appartiennent, car elles ne diffèrent, à vrai dire, de la dernière année de la convention que par quelques changemens de mots. Ce sont les mêmes hommes, le même esprit, la même anarchie, le même culte de la force, la même inintelligence du droit. Il serait à souhaiter que toute cette période, dans son ensemble et jusqu’à son dénouement, c’est-à-dire jusqu’au 18 brumaire, fût appréciée du même point de vue. M. de Barante compléterait ainsi tout à la fois son œuvre littéraire et le service qu’il nous a rendu.

Telle qu’elle est, cette histoire de la convention se distingue de toutes celles qui l’ont précédée et comble une vraie lacune. Le talent, l’éloquence, n’avaient pas fait défaut jusqu’ici pour peindre cette époque; mais chacun avait tracé son tableau au profit d’une idée, d’un système. Ce qui caractérise M. de Barante, c’est une intelligence supérieure du sujet et une impartialité naturelle qui le rend comme étranger aux entraînemens et aux complaisances des partis. Nous ne voulons pas dire qu’il ne penche d’aucun côté, ce qui, selon nous, serait un triste compliment; mais, tout en étant au fond très décidé pour la cause qu’il croit juste, sa méthode lui défend d’en avoir l’air. Cette méthode, moins systématique qu’on ne suppose et inspirée à l’auteur plutôt par la nature de son talent que par un calcul de son esprit, ne laisse pas, on le sait, de soulever quelques