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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/580

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avec la légèreté ordinaire aux emprunteurs de qualité, demanda à Beaumarchais de lui prêter une somme de douze mille francs. Beaumarchais la lui refusa avec cette gaieté originale qui le distinguait. — Mais il vous serait aisé de me prêter cette somme, lui dit le comte. — Sans doute, lui répondit Beaumarchais ; mais, monsieur le comte, comme il faudrait me brouiller avec vous au jour de l’échéance de vos effets, j’aime autant que ce soit aujourd’hui ; c’est douze mille francs que j’y gagne. »


Après la seconde brochure de Mirabeau, on s’attendait à une riposte de Beaumarchais. À la grande surprise du public, ce dernier garda le silence. Soit qu’il jugeât que la partie n’était pas égale et que ce jouteur était trop fort pour lui ou avait moins à perdre, soit qu’il éprouvât ce besoin du repos que l’âge fait sentir aux êtres même les plus batailleurs, il prit le parti de se taire. Agit-il prudemment ? Cela est douteux, car on verra bientôt un nouvel adversaire s’autoriser de ce premier témoignage de prudence pour attaquer à son tour Beaumarchais avec une fureur sans égale.

Quatre ans avaient passé sur cette querelle entre Mirabeau et Beaumarchais, le premier était devenu le grand Mirabeau, lorsqu’un beau jour, en 1790, fatigué à son tour des orages de la vie, il écrit à Beaumarchais la lettre suivante :


« Mon écriture ne pouvant pas vous déplaire, monsieur, lorsqu’elle est accompagnée d’un procédé que vous ne désapprouverez pas, je prends le parti de m’adresser à vous-même pour un éclaircissement qui vous regarde plutôt qu’à des intermédiaires.

« Très voisin de l’âge et surtout de la disposition d’esprit où, moi aussi, je ne veux penser qu’à mes livres et à mon jardin, j’avais jeté les yeux, dans les biens nationaux, sur les Minimes du bois de Vincennes ; j’apprends que vous y pensez, on dit même que vous avez couvert l’enchère ; il n’est pas douteux que si vous désirez ce joli séjour, vous le paierez beaucoup plus cher que moi, parce que vous êtes beaucoup plus en état de le faire, et cela posé, je trouverais très désobligeant de hausser à votre désavantage le prix d’un objet auquel je ne pourrais plus atteindre. Veuillez donc me dire si l’on m’a bien instruit, si vous tenez à cette acquisition, et de ce moment je retire mes offres ; si, au contraire, vous n’avez qu’une velléité légère ou seulement le désir civique de concourir à ce que les ventes s’effectuent, sauf à vous défaire ensuite d’un bien probablement trop voisin de votre belle habitation pour que vous comptiez en faire votre maison de campagne, je suis persuadé que vous aurez le même procédé pour moi que moi pour vous, et que votre concurrence n’exagérera pas le prix de cette acquisition.

« J’ai l’honneur d’être parfaitement, monsieur, etc.,

Mirabeau (l’aîné). »
« Le 17 septembre 1790. »


Voici la réponse de Beaumarchais :


« Je vais répondre à votre lettre, monsieur, avec franchise et liberté. Depuis longtemps je cherchais une occasion de me venger de vous ; elle m’est offerte par vous-même, et je la saisis avec joie.