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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/582

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sincère d’un oubli total du passé. Faites une salle à manger de mon antique sacristie, j’y accepterai avec joie un repas civique et frugal. Grâce à la révolution, personne n’est plus humilié de n’en offrir que de ce genre, et nous sommes tous enrichis de ce qu’elle a retranché aux dépenses de vanité qui nous appauvrissaient sans véritable jouissance. Messieurs les bons faiseurs, devenez bienfaisans en mettant fin à votre ouvrage ; il sera toujours excellent, pourvu que vous l’acheviez vite.

« Agréez les salutations du cultivateur,

Beaumarchais. »


C’est ainsi que le temps apaise les colères les plus ardentes. Ce projet de campagne et de repos était une de ces chimères dont se berçait aux heures de lassitude l’imagination de Mirabeau ; il n’eut point de suite : l’homme des combats devait mourir sur la brèche. Il nous a semblé que cette correspondance pacifique, où chacun des deux anciens ennemis apparaît avec ses véritables allures, offrait plus de sincérité et par conséquent plus d’intérêt que leur querelle.


III. — LE PROCÈS KORNMAN.

Dans ce combat avec Mirabeau à propos des eaux de Paris, Beaumarchais avait donné au public l’idée d’un lutteur qui commençait à faiblir. C’était encourageant pour ceux qui pouvaient éprouver le besoin de se faire un nom aux dépens du sien, et il ne tarda pas à se voir assailli par un nouvel adversaire. En février 1787, au moment où il s’occupait de la première représentation de son opéra de Tarare, on répandit dans Paris à un très grand nombre d’exemplaires une brochure assez volumineuse et des plus virulentes intitulée : Mémoire sur une question d’adultère, de séduction et de diffamation pour le sieur Kornman contre la dame Kornman son épouse, le sieur Daudet de Jossan, le sieur Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais et M. Lenoir, conseiller d’état, ancien lieutenant général de police.

Ce mémoire d’une forme inusitée, imprimé même sans nom d’imprimeur, contenant une dénonciation adressée au public et non à la justice, était tout simplement signé Kornman ; mais le style annonçait une plume plus exercée que celle d’un banquier alsacien. L’affaire dont il s’agit ayant eu, en raison des circonstances et des personnes attaquées, un immense retentissement, il faut expliquer d’abord par quel tour de force un avocat alors inconnu, et désirant exploiter à son profit la célébrité de Beaumarchais, avait pu l’englober dans un procès en adultère, auquel il était parfaitement étranger et qui couvait depuis six ans. En octobre 1781, Beaumarchais, se trouvant à dîner chez le prince de Nassau-Siegen, avait été vivement sollicité par le prince et la princesse de s’intéresser au sort d’une jeune femme que son mari tenait depuis six mois enfermée dans une maison de force en vertu d’une lettre de cachet, et d’unir