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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/584

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que sa femme lui échappait, essaya d’entrer en accommodement avec elle ; cinq ans se passèrent ainsi, remplis par des tentatives avortées de réconciliation et par des commencemens de procès en séparation de biens. Dans l’intervalle, les affaires commerciales de Kornman allaient de mal en pis ; il fut obligé de suspendre ses paiemens, et sa femme, à laquelle Beaumarchais, en raison même du premier service rendu, ne pouvait plus refuser des conseils, dut entamer contre lui des procédures à l’effet de garantir sa dot.

Les choses en étaient là, lorsque Kornman eut occasion de se lier avec le jeune avocat Bergasse, encore inconnu, ou plutôt connu seulement par l’extrême exaltation qu’il avait déployée dans des brochures en faveur des expériences magnétiques de Mesmer. Soit que Bergasse ait réellement ajouté foi aux récits plus ou moins fantastiques que lui faisait Kornman, soit qu’il ait vu là une belle occasion de se produire avantageusement, soit enfin qu’il ait été conduit par ces deux motifs réunis, toujours est-il que c’est lui qui détermina ce banquier à confier au public des détails qu’on aime généralement à tenir secrets. C’est sous l’impulsion du fougueux Bergasse que Kornman se décida à donner à son affaire tout l’éclat imaginable, en comprenant dans la même accusation sa femme et son complice présumé, Daudet de Jossau ; le lieutenant-général de police, que Kornman soupçonnait aussi, à tort ou à raison, d’avoir été l’amant de sa femme, et qui, venant de quitter sa place, offrait l’avantage de pouvoir être attaqué utilement et sans danger ; le prince de Nassau même, que Bergasse devait attaquer dans un second mémoire ; enfin, mais surtout Beaumarchais, l’affreux, le scélérat Beaumarchais, qu’on présentait comme la cheville ouvrière du plus abominable complot contre toutes les lois divines et humaines.

Tel fut l’objet du premier mémoire publié au nom de Kornman, rédigé par Bergasse, et répandu par milliers dans Paris. Ce mémoire est parfois assez bien écrit, souvent chaleureux, souvent bouffi et incorrect, et surtout pompeux d’un bout à l’autre ; mais, au point de vue de la logique, de la raison et du droit, il ne supporte réellement pas l’examen. C’est un véritable galimatias. Qu’y voit-on ? Un mari qui raconte ou plutôt un avocat qui fait raconter à un mari, en style emphatique, avec une épigraphe en vers latins, les torts qu’il reproche à sa femme. Ce qui tendrait du reste à indiquer une certaine bonne foi chez Bergasse, au moins au début de l’affaire, c’est que, dans son exaltation continue, il oublie à tous momens qu’il revêt d’un style imposant des faits qui sont peu à l’avantage de son client. Il pourrait, par exemple, se dispenser de nous montrer ce mari poussant pendant un an la débonnaireté jusqu’à la tolérance la plus honteuse, pour faire ensuite enfermer sa femme aussitôt qu’il est ques-