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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/587

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la nation, et de la scélératesse de Beaumarchais, ennemi des droits de la nation. Tous les oisifs se mêlèrent naturellement à ce débat, qui fut une des grandes affaires du temps. Pendant les deux ans qu’il dura, il se publia près de quatre cents brochures à ce sujet, Bergasse y faisant entrer tous les noms plus ou moins impopulaires qui se rencontraient sous sa plume, et chaque personnage désigné publiant à son tour des réponses et des explications. Beaumarchais n’écrivit que trois mémoires dans l’affaire Kornman ; ils sont incontestablement plus faibles que ceux qu’il écrivit contre Goëzman et autres. Il a ici tellement raison quant au fond du débat, qu’il ne sait pas se défendre sur les accessoires qu’on entasse pour l’en accabler. Vainement ses amis lui recommandent d’éviter les formes de la raillerie, qui ne prendraient pas, attendu que Bergasse a su monter l’affaire au ton d’une grande question de morale publique, dans laquelle il se pose comme défenseur de la vertu contre un tas d’hommes pervers : comme l’opinion incline à l’accepter dans ce rôle, il faudrait l’en dépouiller avec gravité et lui opposer une véhémence égale à la sienne ; mais Beaumarchais commence à vieillir, il a des habitudes d’esprit auxquelles il ne peut plus renoncer. Non content de prouver qu’il n’y a dans tout ceci aucun reproche à lui faire, ce qui est très vrai, il se permet des quolibets sur Kornman qui gâtent sa situation, et prêtent le flanc aux philippiques austères de Bergasse.

Ce dernier d’ailleurs en prend fort à son aise sur le droit qu’aurait, suivant lui, le premier venu d’exploiter la réputation d’un homme célèbre en l’accablant d’outrages. « Je n’ai, dites-vous, écrit que des faits faux ; j’ai donc encouru toutes les peines destinées à la calomnie : eh bien ! dans cette supposition même (évidemment fausse), le sieur Kornmann m’aurait trompé, vous auriez le droit de l’attaquer et de demander justice de son imposture ; mais moi, dont les intentions ont été si pures, la conduite si franche, le but si digne d’éloges, je serais toujours au-dessus de vos atteintes… Mais, dites-vous, nous vous poursuivons, non pas parce que vous avez rédigé les mémoires du sieur Kornman, mais parce que vous nous y avez peints sous les traits les plus odieux… C’est-à-dire, s’écrie Bergasse, que vous voulez qu’on me punisse de ce que je suis moi, et non pas un autre, de ce que je n’ai pas écrit avec vos facultés, mais avec les miennes… » Et comme les facultés de Bergasse sont essentiellement tournées à la virulence, après avoir, durant deux ans, accumulé toutes les insultes sur Beaumarchais, sur M. Lenoir, sur le prince de Nassau, etc., à la dernière audience il leur administre encore cette péroraison : « Qu’ils apprennent, ces pervers, que je ne cesserai jamais de les poursuivre ; que tant qu’ils seront impunis, je ne me tairai pas ; qu’il faut qu’on m’immole à leurs