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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/63

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demandait? Nos pères ont donc fait beaucoup de bruit pour rien. Ils n’avaient qu’à mettre à la raison quelques brouillons d’avocats, quelques bourgeois affamés de places; c’était l’affaire de quelques gendarmes bien dirigés. Que n’étions-nous là, semble-t-on dire, nous qui savons mener les hommes!

Voilà pourtant comme on écrit l’histoire! Ce n’est pas M. de Barante qui la travestit ainsi. Lui, comme un autre, assurément il eût préféré des réformes : ces réformes, le roi les voulait, et ce sera l’éternel honneur de l’infortuné monarque; mais la noblesse, le haut clergé, les parlemens, les voulaient-ils aussi? N’ont-ils pas opposé à tout changement raisonnable, à toute transaction modérée une intraitable résistance? N’est-ce pas leur aveuglement, si tôt et si cruellement puni, qui a mis la France dans la dure nécessité de conquérir son émancipation au prix de maux incalculables? Conquête inévitable et follement contestée ! Ce n’est pas là du fatalisme, la responsabilité des erreurs et des crimes n’en pèse pas moins sur ceux qui les ont commis; mais autant il est coupable et insensé de perpétuer, d’encourager sans relâche l’esprit révolutionnaire, autant il est puéril de nier la souveraine puissance, le caractère providentiel et expiatoire de ces grandes catastrophes, de ces crises terribles qui renouvellent et transforment un pays. Confondre avec une émeute mal réprimée le mouvement national de 89, c’est une thèse qu’il faut laisser à ceux qui, depuis soixante ans, n’ont pas pris leur parti d’un ordre nouveau désormais irrévocable, ou à ceux qui, encore aujourd’hui, nous marchandent notre émancipation, c’est-à-dire aux anciens absolutistes, s’il en existe encore, ou aux absolutistes modernes, puisqu’il est vrai qu’il s’en foi me de nouveaux.

M. de Barante, encore un coup, a l’incontestable mérite de rester à distance égale de tous ces excès opposés. En le lisant, on prend l’horreur des violences révolutionnaires sans épouser un seul des préjugés de l’émigration. Il inspire un salutaire dégoût de toutes les tyrannies, de tous les despotismes, et par le seul effet du contraste, sans qu’il se mette en frais, il réchauffe, il fortifie un sentiment tout contraire, le respect et l’amour des institutions modérées, de la liberté légale, du vrai gouvernement libre, en un mot ce but suprême, ce noble idéal de l’homme en société : gouvernement qu’il nous est permis d’admirer, de défendre et même de souhaiter, puisque la constitution qui nous régit nous le montre en perspective et nous le promet comme une récompense.


L. VITET.