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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/634

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M. Cousin n’a pas voulu s’en tenir là : il a sondé d’un regard sûr l’ensemble des pensées de Pascal, et a trouvé le scepticisme écrit à chaque page. Pascal, en effet, témoigne en maint endroit, je ne dirai pas de sa sympathie, mais de sa déférence pour les pyrrhoniens. Pour lui, le doute, mais le doute systématique et permanent, est la seule philosophie qui mérite quelque attention ; or, comme le remarque très justement M. Cousin, si le doute contenu dans de certaines limites, je veux dire employé comme moyen d’étude, est souvent une épreuve salutaire et féconde qui mène à la vérité, le doute systématique et permanent n’est pas moins que la ruine complète de toute science. Pascal, comme on peut s’en convaincre par une étude attentive, n’avait pas appliqué son esprit à la philosophie d’une manière aussi suivie qu’aux problèmes mathématiques, et lorsqu’il entreprit ce genre d’investigation tout à fait nouveau pour son intelligence, il eut le tort très grave de vouloir soumettre les problèmes de la conscience humaine à la méthode des géomètres ; les trouvant rebelles à cette méthode, il les déclara d’emblée parfaitement insolubles. Pour être conséquent jusqu’au bout, une fois engagé dans l’école pyrrhonienne, il aurait dû adopter les Empiricus et mettre à néant la géométrie comme la philosophie elle-même, car Sextus Empiricus n’a pas traité Euclide avec plus de respect que les philosophes. C’est pour s’être trompé sur le choix de la méthode que Pascal est arrivé aux conclusions les plus désolantes, non seulement sur la science, mais sur la foi elle-même. Après avoir déclaré d’une façon formelle que l’homme ne peut rien savoir par lui-même, il est arrivé désarmé devant la vérité révélée. Incapable, de son propre aveu, de rien comprendre sans le secours de Dieu, il ne s’est pas trouvé moins embarrassé en face de la foi enseignée par les prophètes et par l’Évangile. De quelque côté qu’on se range en effet, du côté de la théologie ou du côté de la philosophie, l’esprit, une fois familiarisé avec le doute universel, n’est pas moins imbécile devant la vérité révélée que devant la vérité démontrée. Toute religion, c’est-à-dire tout enseignement surnaturel, n’est acceptable pour l’intelligence qu’à la condition de contenir une part de vérités naturelles, c’est-à-dire de vérités démontrées par les seules lumières de la raison. La foi, c’est-à-dire la vérité révélée, n’est et ne peut être que le développement de la vérité découverte par l’homme livré à ses seules forces. S’il en était autrement, l’Évangile serait une énigme impénétrable ; la tradition chrétienne trouverait dans l’intelligence une résistance invincible : ne rencontrant pas dans la conscience humaine un terrain préparé par l’étude philosophique, elle n’y déposerait qu’un germe infécond.

Voyez en effet ce qui est arrivé à Pascal, à l’un des esprits les plus