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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/664

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pour nos maîtres souverains, avaient défini l’architecture l’union de l’utile et du beau ; ils avaient même créé pour l’expression de cette pensée un mot unique dont notre langue ne peut donner une idée. L’histoire entière de l’architecture justifie la pensée grecque. Tous les monumens vraiment importans expliquent leur destination par leur forme. M. Cousin ne semble pas s’en douter ; il croit que le sentiment de l’utilité en architecture nuit au développement de la beauté. C’est une erreur. Depuis le Parthénon jusqu’à Notre-Dame de Paris, depuis Ictinus jusqu’à Maurice de Sully, tous les monumens ont exprimé et devaient exprimer leur destination. M. Cousin pense que les architectes, obligés de prendre l’utile en considération, se réfugient dans les frontons et dans les détails : je dois lui dire que les artistes qui se résignent à un tel parti ne comprennent pas la mission vraie de leur art. L’architecture n’a pas, comme la peinture et la statuaire, l’imitation pour point de départ. Dans la construction d’un palais, d’une forteresse ou d’une église, il est absolument impossible de séparer l’utilité de la beauté. Tout architecte qui méconnaît cette double loi de son art méconnaît son art. Celui qui se réfugie dans les frontons et les détails, comme le dit M. Cousin, ignore son devoir. Tout monument civil, religieux, militaire, qui n’exprime pas sa destination, est un monument manqué. C’est là un principe justifié à la fois par l’histoire et la théorie.

Passons à la musique. M. Cousin remarque avec raison que la musique, par la succession des effets qu’elle peut produire et le caractère indéterminé des sentimens qu’elle éveille, agit sur les sens plus puissamment que la peinture, la statuaire et l’architecture. Réduite à cette formule, son opinion est très vraie ; cependant elle devient contestable dès qu’on veut la soumettre à l’épreuve de l’application. En effet, il attribue à la musique l’expression de deux sentimens, la tristesse et la joie. Or tous ceux qui connaissent l’histoire de la musique, depuis Palestrina jusqu’à Beethoven, en passant par Sébastien Bach pour arriver à Mozart et à Rossini, savent à merveille que la musique, loin de se trouver limitée dans l’expression de la tristesse et de la joie, exprime très bien et très nettement la colère et la jalousie. Le sentiment de la grandeur héroïque n’est pas étranger à la musique, Beethoven l’a prouvé surabondamment ; la Symphonie héroïque du maître de Bonn suffirait pour le démontrer. Parlerai-je de Mozart ? Le personnage de Zerlina suffirait à prouver que la musique n’est pas impuissante à expliquer la coquetterie. Parlerai-je de Donizetti ? Le personnage d’Adina dans l’Elisere d’amore serait pour moi un nouvel argument. Parlerai-je de Bellini ? Le personnage d’Amina dans la Sonnambula, confirmerait mon affirmation. Reste une question