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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/688

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Les Romains avaient l’habitude de boire de temps en temps des verres d’eau chaude ; cela faisait partie de leur régime, et montre combien les goûts et les usages changent de siècle à siècle et de peuple à peuple, apporter cette eau au point juste de chaleur qui plaisait était une grande amure pour les serviteurs, et Arrien, dans ses préceptes de morale, recommande aux maîtres de ne pas se livrer à des accès de colère contre l’esclave qui servait le breuvage trop chaud ou trop froid. Ce fut à l’aide de cet usage qu’on empoisonna Britannicus sans empoisonner le dégustateur. Les enfans de la maison impériale, avec quelques enfans des grandes familles romaines, mangeaient à une petite table où ils étaient assis ; les parens mangeaient couchés à une grande table. Un serviteur apporte à Britannicus l’eau beaucoup trop chaude, il la repousse, on y verse de l’eau froide, mais de l’eau froide empoisonnée, et à peine a-t-il bu qu’il perd aussitôt la voix et la respiration. À ce spectacle, Agrippine fut frappée de consternation ainsi qu’Octavie, la sœur de la victime. Néron prononça les mots que Racine a mis dans sa bouche ; mais ce qui est bien plus tragique que la tragédie, ce qui fait pénétrer bien plus avant dans l’abîme de cette cour si profondément vicieuse, après un court silence, le repas recommença avec une gaieté apparente et comme si de rien n’était. Sans doute on emporta Britannicus, et il acheva d’expirer tandis qu’on achevait de dîner. Toujours est-il qu’un effet très rapide fut produit et que le jeune homme tomba promptement en défaillance. Quelles étaient ces préparations vénéneuses qui attaquaient si rapidement les ressorts de la vie ? Déjà on avait vu, sous le règne de Tibère, un chevalier romain, accusé du crime de lèse-majesté, avaler dans le sénat même du poison, et tomber mourant aux pieds des sénateurs. Des licteurs l’emportèrent en hâte dans la prison, et, quand ils voulurent l’exécuter, ce n’était plus qu’un cadavre. Parmi les poisons connus maintenant, il n’y en a qu’un petit nombre capables de causer une aussi prompte destruction. Plusieurs viennent de contrées qui alors n’avaient point de communication avec l’empire romain, et il ne reste guère que l’acide hydrocyanique auquel on puisse songer. Plusieurs fruits à noyaux le contiennent ; il n’est pas impossible que ces grands artistes dont parle Sénèque aient réussi, dans leurs manipulations multipliées, à rencontrer quelques combinaisons meurtrières où cet acide avait place. C’est ainsi que les alchimistes, à force, de chercher, de souffler, de fondre, de combiner, avaient mis la main sur des substances singulièrement actives et précieuses, telles que l’eau-de-vie, certains acides énergiques, le phosphore, etc.

Ceci n’est qu’un coin de la société romaine sous les premiers empereurs. À côté de l’habitude et de la facilité d’user du poison était