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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/716

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d’eau. L’opinion exagérée qu’il avait des buveurs d’eau faisait supposer à Francis que les membres composant cette petite église artistique possédaient tous un talent supérieur, et que sans doute ils ne voudraient admettre dans leurs rangs que des associés qui leur paraîtraient des égaux. Le suffrage momentané de ses amis lui avait été sensible sans doute ; mais pendant qu’ils exprimaient bruyamment leur admiration, Francis se demandait intérieurement : « Quelle sera l’opinion de l’homme au gant et de ses amis sur mon compte ? Me trouveront-ils digne d’être des leurs ? » Il arrive souvent qu’un artiste distingue dans la foule un groupe, quelquefois même un être isolé, dont l’opinion le préoccupe beaucoup plus que celle de la multitude. Les anciens buvaient aux dieux inconnus ; tel artiste, en commençant une œuvre, l’a consacrée votivement aux amis inconnus, et, quand elle arrive à la publicité, il est rare que celui à qui elle a été dédiée ne s’arrête pas devant elle, subitement attiré par un mystérieux appel qui lui dit : «Ne me reconnais-tu pas ? Dans cette foule qui m’environne, c’est ton regard que j’attends, c’est ton approbation que je réclame. » Et si l’inconnu s’arrête, s’il regarde, s’il approuve, dans la même minute peut-être son approbation est ressentie, devinée magnétiquement par celui qui l’attendait comme une récompense du passé, comme un encouragement pour l’avenir.

Qu’il admit ou non l’existence de ces communications mystérieuses, espèces de courans dans lesquels s’échangent les sympathies isolées, Francis avait agi comme ceux qui y croient. Nous avons dit l’espèce de petit succès qui se faisait autour de ses tableaux et le petit murmure qui commençait à se faire autour de son nom. Ce résultat dépassait ses espérances. Il ne tarda pas à reprendre courage, à se dire que les buveurs d’eau pourraient bien se trouver fiers un jour de l’admettre dans leurs rangs. Il n’y avait du reste rien qui ne fût très réalisable dans cette supposition. Tous ceux qui commencent, quelle que soit d’ailleurs la branche de l’art à laquelle ils appartiennent ; ne se préoccupent pas beaucoup de ceux qui continuent ou de ceux qui achèvent : ceux-là ont leur place prise et la défendent ; mais, pour les débutans qui ont leur place à prendre, l’intérêt véritable est dans le nombre des concurrens qui chaque jour augmente, et surtout dans la valeur relative du nouveau-venu. Cette vérité est facile à observer et se justifie par l’empressement que tous les jeunes gens témoignent autour de l’œuvre d’un confrère qui pour la première fois se présente au jugement du public. Ce sentiment de curiosité inquiète n’est point blâmable. Toute lutte d’un artiste nouveau avec le public a un intérêt. Qu’il y ait chute ou succès, amis ou rivaux, chacun se passionne et attend avec impatience la décision du souverain juge. S’il condamne, les spectateurs s’écoulent tranquillement,