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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/752

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Ce fut le 15 août 1788, dans le château de Frederiksborg, que le comte de Reventlow, avec des larmes de joie, octroya publiquement à quinze paysans, au nom de Christian VII et du prince royal, ces titres de fermage qui devaient inaugurer en Danemark une époque toute nouvelle. Apres une harangue prononcée par le chapelain du château, afin que la religion ne fût pas absente de celle solennité, Reventlow lui-même prit la parole. Il expliqua aux paysans quelle place tenait leur bonheur futur dans les préoccupations et dans les desseins de la royauté ; il leur dit ce qui avait été fait déjà et ce qui restait à faire. Il ajouta que leur confiance et leur concours énergique étaient nécessaires à leurs protecteurs pour continuer et étendre leurs bienfaits : il importait que les méthodes conseillées vinssent promptement remplacer les vieilles et mauvaises méthodes. « Que bientôt, dit-il, nos pâturages offrent l’aspect de champs bien cultivés, que nos marais se changent en terres grasses et bien ensemencées ! Il faut couper les broussailles, aménager nos forêts, détourner les eaux mauvaises, employer la roche aux clôtures. Je vois venir le jour, mes amis, où les gaarde, équitablement distribués entre vous, seront entourés de jardins potagers dans lesquels vous verrez croître choux, légumes, houblon, arbres fruitiers ; le jour où les champs vous donneront une abondante récolte de trèfle, de pommes de terre et d’autres racines succulentes ; le jour où fermier et laboureur [gaardmand og huusmand), au lieu de se regarder d’un œil jaloux, travailleront d’un cœur content l’un pour l’autre ; le jour enfin où le garçon de ferme mettra son honneur à être le plus dur au travail, où la quenouille et le métier seront les plaisirs des longues et paisibles soirées d’hiver, où nul mendiant robuste ne vagabondera dans nos campagnes, mais où nul infirme aussi n’appellera en vain les hommes ses semblables au secours de son inévitable misère. » Après ces paroles, où se montraient les plus chères espérances de l’homme d’état qui a mérité le premier en Danemark d’être nommé l’ami des paysans (bondeven), le comte de Reventlow remit aux quinze paysans les baux accordés par le roi ; il leur montra comment, devenus fermiers, ils vivraient dans une aisance honorée, il les engagea aussi à mériter par leur zèle et leur bon travail que le roi, selon son vœu, les fit propriétaires libres. Il termina en souhaitant que le bon exemple donné par eux à leurs compagnons de travail devînt fécond pour ceux-ci grâce à cette contagion du bien, plus puissante que celle du mal : souhait sincère sur ses lèvres et dans son cœur, mais qui en contenait un autre, celui de voir les grands propriétaires imiter les réformes entreprises par Christian VII.

Si la royauté danoise, respectant les droits acquis, les conventions consacrées par une légalité vicieuse, et ne voulant porter aucune