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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/789

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républicain, l’opéra de Tarare redevenait beaucoup plus monarchique qu’à sa naissance. Au lieu de se tuer et de céder la place à Tarare, le féroce Atar, défendu par lui contre la colère du peuple, consentait à pardonner à ce héros tout le mal qu’il lui avait fait et tout le bien qu’il en avait reçu ; il lui conférait le commandement de l’année et lui restituait sa femme. Tarare se prosternait à ses pieds, lui jurait fidélité : le peuple faisait de même, et tout s’arrangeait le plus pacifiquement du monde.


« Tout ce qu’il y a de remarquable dans Tarare (dit à ce sujet un rédacteur de la Minerve, fort offusqué de ce dernier rhabillage) a été retranché ; certains mots surtout paraissent avoir singulièrement choqué le poète de service, qui d’ailleurs n’a pas fait grâce à un seul trait philosophique. L’ouvrage de Beaumarchais ne saurait sans doute supporter l’examen sévère du bon goût : des scènes pleines d’intérêt, des situations extrêmement dramatiques, un dialogue parfois plein de hardiesse et de chaleur, ne font pas excuser de nombreuses inconvenances, d’étranges incorrections et trop souvent la barbarie du style ; mais, par une mutilation sans mesure, sans goût, sans but, fallait-il faire, d’un ouvrage qui avait du moins le mérite d’être amusant, le plus ennuyeux drame qui ait paru depuis Panurge[1] ? »


C’est en 1819 que s’arrête, je crois, définitivement, la série des reprises et des métamorphoses de l’opéra de Beaumarchais. On voit que cet ouvrage, malgré tous ses défauts, possédait cependant plus de vitalité qu’on ne le pense généralement. Pour fournir une carrière de trente-deux ans, avec une musique médiocre et une poésie des plus faibles, il a bien fallu que Tarare offrît une certaine puissance d’intérêt dramatique, une certaine originalité de construction reconnue par tous ceux qui ont vu représenter cet opéra, mais dont il est assez difficile de se faire une idée juste par une simple lecture. Quoi qu’il en soit, il n’est guère probable que Tarare ressuscite jamais une sixième fois. Sa dernière transformation l’a achevé, et, puisqu’il paraît décidément mort, nous laisserons en paix sa cendre pour suivre l’auteur au milieu des orages nouveaux que la révolution lui prépare.


II. — BEAUMARCHAIS APRÈS LA PRISE DE LA BASTILLE.

La journée du 14 juillet 1789 surprit Beaumarchais occupé à faire construire, juste en face et tout près de la Bastille, comme pour narguer ce château-fort, une superbe et charmante habitation. Il avait acheté de la ville, en 1787, toute la portion de terrain formant aujourd’hui la ligne gauche du boulevard qui porte son nom en arrivant par le boulevard Saint-Martin, en prenant cette ligne en face de la

  1. Minerve Française, t. v, 3 février 1819.