Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/798

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Nous avons plus besoin d’être consolés par le tableau des vertus de nos ancêtres qu’effrayés par celui de nos vices et de nos crimes[1]. »


Pour être hostile à ces évocations furibondes de nos anciennes guerres civiles, Beaumarchais, fils d’un protestant converti au catholicisme, n’en restait pas moins toujours animé d’un zèle ardent pour la liberté des cultes, et spécialement pour l’affranchissement légal des protestans. Aussi, lorsque l’assemblée constituante, en décembre 1790, eut restitué la qualité de Français à tous les descendans des Français expatriés pour cause de religion, Beaumarchais, enthousiasmé d’un discours de Barère sur la question, lui adresse la lettre inédite qui suit :


« Paris, ce 11 décembre 1790.

« Je ne puis me refuser, monsieur, au plaisir de vous remercier de celui que vient de me faire la lecture de votre beau discours sur la restitution des biens des protestans fugitifs du royaume ; j’en ai le cœur gros et les yeux mouillés. Heureuse la nation qui peut s’honorer devant le monde entier d’un acte si juste et si magnanime, heureux l’orateur qui, chargé de l’auguste emploi d’éclaircir une pareille question, a trouvé dans son cœur les touchantes expressions dont vous avez orné votre logique !

« Quelque mal personnel que puisse me faire la révolution, je la bénirai

  1. Il nous paraît intéressant de mettre ici en regard de la lettre de Beaumarchais une partie au moins de celle de Mirabeau, dont nous venons de parler et qui est assez peu connue. Ces volte-face dans l’attitude des hommes sont toujours instructives. Voici à quelle occasion l’ancien adversaire du Mariage de Figaro intervenait en faveur de Charles IX. Après une quarantaine de représentations, la majorité des acteurs, reconnaissant l’influence dangereuse de cette pièce, l’avait laissée reposer, et refusait de la reprendre. Le jeune Talma, qui débutait alors, qui avait su donner beaucoup de relief au rôle sacrifié de Charles IX, et qui de plus posait un peu à cette époque en démocrate fougueux, insistait pour la reprise, et prétendait forcer la main à ses camarades en s’appuyant à la fois sur le public et sur Mirabeau, qui avait demandé cette reprise au nom des fédérés provençaux. C’est pour venir en aide à Talma que Mirabeau lui écrit la lettre suivante, en l’autorisant à la publier : « Oui, certainement, monsieur, vous pouvez dire que c’est moi qui ai demandé Charles IX au nom des fédérés provençaux, et même que j’ai vivement insisté ; vous pouvez le dire, parce que c’est la vérité, et une vérité dont je m’honore. La sorte de répugnance que messieurs les comédiens ont montrée à cet égard, au moins s’il fallait en croire les bruits, était si désobligeante pour le public, et même fondée sur de prétendus motifs si étrangère à leur compétence naturelle ; ils sont si peu appelés à décider si un ouvrage légalement représenté est ou n’est pas incendiaire ; … ils m’avaient si précieusement dit à moi-même qu’ils ne voulaient céder qu’au vœu prononcé de la part du public, que j’ai dû répandre leur réponse. » Cette lettre, qui se terminait par quelques lignes plus dédaigneuses encore pour les acteurs, produisit parmi ces derniers une vive explosion contre Talma, qui la publiait ; il fut décidé à une très grande majorité qu’il serait exclu de la société ; mais le public prit fait et cause pour le jeune tragédien, la municipalité se prononça également pour lui, et après des scènes très orageuses le jeune Talma reparut dans Charles IX. (Voir à ce sujet l’Histoire du Théâtre-Français depuis la révolution, par Étienne et Martainville, t. Ier, p. 143 et suiv.)