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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/807

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Achevée en janvier 1791, la Mère coupable fut lue en février et reçue au Théâtre-Français ; mais à ce moment s’agitait encore avec une recrudescence d’animosité, entre les auteurs et les acteurs, l’éternel procès dont nous avons déjà rendu compte, et que la législative devait bientôt juger de nouveau, comme la constituante, en faveur des auteurs. Beaumarchais, chargé par ces derniers de défendre leurs intérêts, s’en acquitta avec une conscience qui amena une rupture entre le Théâtre-Français et lui. Une nouvelle troupe, qui venait avec son appui d’ouvrir un théâtre dans son voisinage au Marais, lui demanda sa pièce avec instance, et elle fut représentée pour la première fois sur ce nouveau théâtre le 6 juin 1792. Faiblement jouée d’abord, elle n’eut qu’un médiocre succès ; reprise plus tard par les comédiens français, en mai 1797, elle réussit complètement, et elle s’est soutenue au théâtre jusqu’à nos jours, où le public la voit encore représenter avec intérêt.

Le style de la Mère coupable est souvent faible, incorrect et délayé : il est loin de valoir celui du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro ; mais le sujet de cette pièce, pris en lui-même, est à la fois très dramatique et d’une incontestable moralité. Dans l’épouse infidèle s’attacher surtout à mettre en relief la mère coupable, peindre une femme douée de sentimens honnêtes qui, pour un seul jour de faiblesse, vainement racheté par des années de repentir et de vertu, voit son existence tout entière abîmée, son repos à jamais troublé, et non-seulement son repos, mais celui de tout ce qui l’entoure ; mettre en scène un jeune homme de vingt ans dont la naissance suspecte fait à la fois le supplice de sa mère, le supplice de l’époux qui n’est pas son père, et son propre supplice ; montrer toutes les douceurs de la vie de famille empoisonnées par la contrainte, le soupçon, la défiance et la haine, jusqu’au moment terrible où le fatal secret qui pèse depuis vingt ans sur cet intérieur se dévoile pour nous laisser voir une femme, d’ailleurs estimable, écrasée sous le poids de la honte, prosternée, la rougeur au front, devant son époux, et réduite à redouter jusqu’au mépris de son fils : voilà certainement une conception qui ne manque ni d’élévation ni d’intérêt. La Harpe lui-même, beaucoup trop dédaigneux à mon avis pour ce drame, est obligé de reconnaître que l’idée en est bonne ; mais non content d’insister sur les côtés faibles de la pièce, notamment sur cet amour entre Florestine et Léon, amour qui déplaît et qui choque, bien qu’il ne soit incestueux qu’en apparence, et que le public sache à quoi s’en tenir, non content de critiquer le caractère outré de Begears, de signaler les invraisemblances et les incorrections fréquentes, La Harpe ne fait grâce à rien : tout est absolument mauvais. « C’est, dit-il, une production platement folle ; » il va jusqu’à trouver inepte une