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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/809

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chimère, et puis pleurons à plein canal. Je vous promets ce douloureux plaisir et suis avec respect, madame la comtesse, etc.,

Beaumarchais. »


Le second billet est de Grétry, alors vieux, et qui paraît avoir eu le projet de mettre la Mère coupable en musique :


« Je ne rêve, écrit-il à Beaumarchais, qu’à votre Mère coupable. J’ai remarqué que la musique n’est jamais si bien placée et ne fait jamais plus d’effet que lorsqu’elle est rare. Voulez-vous que je choisisse douze places où vous rimerez votre prose, et voilà tout ? Je vous réponds qu’on parlera un jour, si vous consentez à ma demande, de la colère d’Almaviva autant qu’on a parlé de la colère d’Achille. Si vous donnez cette pièce aux Italiens, elle peut avoir cinquante représentations de suite ; si vous y ajoutez douze ou quinze morceaux de musique, tous capitaux et de genres différens, elle doit en avoir cent, et j’aurai fait de la musique sur un chef-d’œuvre digne du vieux[1].

« Grétry. »


C’est dans le même temps où Beaumarchais donnait sa dernière pièce de théâtre qu’il s’embarquait dans une nouvelle opération patriotique et commerciale, qui devait bouleverser sa fortune et faire le tourment de ses derniers jours. La France, en 1792, manquait d’armes ; il entreprit de lui en procurer. On a peine à comprendre qu’un homme de soixante ans, riche, fatigué par une existence des plus orageuses, commençant déjà à ressentir des atteintes de surdité, entouré d’ennemis et n’aspirant plus qu’au repos, ait pu se laisser induire à se charger de faire venir en France soixante mille fusils retenus en Hollande, dans des circonstances qui rendaient cette opération aussi dangereuse que difficile. En tenant compte du goût si prononcé de Beaumarchais pour les spéculations hasardeuses, pourvu qu’elles présentassent un certain caractère d’intérêt public, il faut surtout, je crois, chercher ici la cause de sa téméraire entreprise dans l’impopularité même qui le poursuivait alors. « Je lui disais, nous raconte à ce sujet Gudin dans son manuscrit, je lui disais qu’un homme sage, dans un temps de révolution, ne fait commerce ni d’armes ni de blé ; mais ma prudence était trompeuse : dans ces temps de désordre et d’inquiétudes, on lui eût fait un crime d’avoir refusé d’acquérir les armes qu’on lui proposait. Son refus eût été réputé mauvaise volonté ; il n’avait que le choix des dangers : il s’exposa au péril d’être utile à son pays. »

Au commencement de 1792, un Belge étant venu lui offrir pour la France soixante mille fusils provenant du désarmement des Pays-Bas, déposés en Hollande et vendus par l’Autriche, à la condition

  1. Cette idée de Grétry n’eut pas de suite ; mais deux ans après, sous la république, on jouait le Mariage de Figaro, transformé en opéra et assez malheureusement versifié par Beaumarchais. J’ignore quel était l’auteur de la musique.