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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/83

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donnent à ce moment de l’histoire des trois royaumes un aspect si varié et si original. Les conservateurs de toutes nuances, les hommes de pouvoir, les hommes de cour, même les esprits froids et sensés que blesse la déraison, les esprits frivoles et timides qu’alarme l’énergie, durent maudire ces effets extrêmes d’une grande révolution religieuse. Quand on déteste ceux qui prêchent, on est bien près de peu aimer ceux qui croient. Qui hait le fanatisme se laisse aisément aller à suspecter la foi. Dans les temps de dissensions civiles surtout, on ne connaît pas de mesure : on proscrit tout, l’usage avec l’abus, le bien avec le mal; c’est le règne des opinions absolues.

On conçoit donc que la restauration des Stuarts ait été signalée par une réaction irréligieuse. Il y eut sans doute à la cour même des catholiques et des épiscopaux sincères; mais le catholicisme était pour la majorité une religion de rebelles, le culte épiscopal une institution qui puisait sa sainteté dans sa nationalité. Aux yeux des courtisans, des prétendus sages, des beaux esprits, des roués élégans, si nombreux alors, le zèle chrétien semblait à la fois une absurdité et un danger. Excité par la répression chez les dissidens, il apparaissait comme un fanatisme stupide et menaçant, grossier et niveleur. C’était une preuve de bon goût et de bon sens que de laisser la ferveur au populaire. Les libertins, qui tiraient ce nom de leurs opinions d’abord, puis des mœurs dont ces opinions étaient ou la cause ou l’effet, régnaient dans le cercle où brillait le chevalier de Grammont. Le comte Hamilton revenait de bien loin, quand, sur ses vieux jours, il donna son âme aux jésuites de Saint-Germain. Saint-Évremond était un oracle pour ce beau monde si spirituel et si léger. Et comme il faut toujours que l’esprit d’une époque, même frivole, ait son philosophe, Hobbes était le philosophe de celle-là. Ses principes spéculatifs vont à la négation de la religion comme de la justice. Pour lui, tout en ce monde est de ce monde. Comme la justice, la religion n’est sainte que parce qu’elle est établie, et elle n’est établie que parce qu’elle est utile.

La conséquence était la destruction ou tout au moins l’oppression des dissidens. La conséquence était, en toutes choses comme en religion, la tyrannie. De là, nécessité pour les non-conformistes de toutes nuances de se jeter dans l’opposition, de se couvrir de l’égide des principes de liberté. Ces principes, qui n’étaient pas seulement une sauvegarde pour les presbytériens, les baptistes, les puritains, trouvaient de plus désintéressés défenseurs; ils étaient aimés pour eux-mêmes. La révolution avait été pour le moins aussi politique que religieuse. Les républicains, les whigs, même les tories éclairés, s’apitoyaient sur les non-conformistes à titre d’opprimés, et s’intéressaient à la liberté des cultes, parce qu’elle était une liberté. Voyant