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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/845

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les chefs-d’œuvre de l’antiquité, ou à donner, des grands écrivains de leur temps, des éditions non moins précieuses par la correction des textes que par la beauté de l’exécution typographique. Les Aldes en Italie, les Estiennes en France, se sont placés, dans le grand siècle de la renaissance classique, au même rang que les savans les plus illustres, et pendant longtemps ils ont servi de modèles aux libraires, quand les libraires ne se contentaient pas d’être de simples marchands de papier noirci. Fort heureusement pour l’honneur de la profession, il existe encore parmi nous quelques hommes qui sont restés fidèles aux vieilles traditions, et qui ont fait de bons livres et donné des éditions excellentes. Nous avons nommé MM. Brunet, Lefebvre et Renouard. On doit, on le sait, à M. Brunet l’une des œuvres bibliographiques les plus importantes et les plus exactes qui ait été publiée dans le XIXe siècle. On doit à M. Lefebvre la reproduction de nos classiques les plus célèbres, et l’un des premiers en France il a eu le mérite d’appliquer aux textes des grands écrivains modernes la méthode de corrections et d’annotations que les érudits du XVIe siècle ont appliquée aux écrivains de l’antiquité. Recherches patientes, sacrifices de temps et d’argent, M. Lefebvre n’a rien épargné pour rendre ses éditions vraiment dignes des hommes dont elles reproduisaient les œuvres : dans sa vieillesse honorable et toujours laborieuse, il n’a point failli à la mission qu’il s’était imposée au début même de sa carrière ; mais par malheur, s’il a fait beaucoup pour l’honneur de la typographie française et pour les amis des bons livres, le succès commercial n’a point toujours répondu à ses efforts, ce qui semble prouver qu’en France le nombre des vrais amateurs est de jour en jour plus restreint. Comme éditeur, M. Renouard a également rendu aux lettres françaises de très-notables services. Sa belle édition de Voltaire, si précieuse par ses corrections, ses notes et son excellente table, est restée et restera longtemps encore, nous le pensons, la meilleure et la plus belle. Son Pierre Corneille n’est pas moins recommandable tant par la correction du texte que par les notes à la fois substantielles et concises qui l’accompagnent. Enfin, comme érudit littéraire, M. Renouard ne s’est pas montré moins infatigable que comme éditeur. En écrivant les Annales de l’imprimerie des Alde et les Annales de l’imprimerie des Estienne, il a en quelque sorte montré, par le côté le plus positif et le plus appréciable, le développement littéraire et scientifique de la renaissance. Alde l’ancien et son fils Paul Manuce méritent à tous égards, on le sait, d’occuper les premières places parmi ceux qui ont exercé l’art de la typographie. Depuis la première édition qu’Alde l’ancien publia en 1494 jusqu’aux dernières éditions faites par son petit-fils en 1597, la famille de ces imprimeurs célèbres s’occupa sans relâche, avec l’ardeur et la persévérance que peut seule donner une admiration enthousiaste, à tirer les écrivains anciens du chaos où les avaient plongés de longs siècles de barbarie. Non-seulement ils sauveront de la destruction un grand nombre de manuscrits, mais ils s’appliquèrent encore à les populariser, et à une époque où les livres étaient aussi chers que la soie ou les bijoux, ils parvinrent, à force de sacrifices et d’ingénieuses combinaisons, à les rendre, comme on dirait aujourd’hui, accessibles aux petites fortunes.

Les Annales de l’imprimerie des Alde présentent, pendant plus d’un siècle,