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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/916

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grands talens, sa persévérance, ses immenses ressources et la durée de son règne, de continuer, comme l’avait fait son père, l’œuvre d’Akbar et de maintenir les relations formées par ce grand prince avec les chefs hindous dans les conditions nécessaires à la consolidation de l’empire. Aussi le trône impérial était-il moins affermi à la mort d’Aurengzèhe qu’à l’accession de Djahân-Guîr. Les musulmans de l’Inde affectent de regarder Alamguîr (Aurengzèhe) comme le plus grand des empereurs moghols, et le savant et spirituel Jacquemont se range à leur avis ; mais Akbar et son petit-fils Shâh Djhân ont été les seuls empereurs de la race de Teimour vraiment populaires, et nous pouvons dire hardiment d’Akbar qu’il valait mieux qu’Aurengzèbe et comme homme et comme monarque. Son règne et ses conquêtes ont un caractère de grandeur que l’on ne trouve, avant lui, que dans la vie d’Alexandre ou celle de Trajan, après lui que dans les exploits de Napoléon, et ce n’est pas seulement la grandeur de la scène, la variété dramatique des incidens, qui donnent ici à l’histoire un intérêt supérieur à celui du roman : c’est la volonté qui sur ce vaste théâtre a présidé, pour ainsi dire, aux événemens, au lieu de se laisser dominer par eux ; c’est la réalisation d’une grande pensée au bout d’un demi-siècle de généreux efforts ; c’est la création d’un empire où, malgré la diversité des races et des religions, tant de millions d’hommes se rangeaient pour la première fois à la voix d’un seul pour constituer l’unité politique et sociale que son génie avait rêvée. C’est en un mot la conviction irrésistible d’une immense difficulté vaincue qui nous frappe d’admiration et nous révèle toute la supériorité de l’intelligence qui dirigeait et faisait vivre d’une vie commune tous les peuples de l’Hindoustan au commencement du XVIIe siècle.

Les difficultés et les complications inhérentes à toute fin de règne (surtout dans un empire aussi récent et aussi vaste que celui qu’avait fondé Akbar) occupèrent et attristèrent les dernières années de ce grand prince. Il fut d’ailleurs, comme homme, cruellement atteint dans ses plus chères affections. Il avait eu trois fils : les deux plus jeunes, soultân Mourâd et soultân Danial, moururent avant d’avoir atteint leur trentième année, victimes tous deux de leur intempérance. Le fils aîné, soultân Sélim-Shikôh, avait montré de bonne heure d’assez heureuses dispositions et une capacité supérieure à celle de ses frères ; mais, cédant comme eux à une passion excessive pour le vin et l’opium, son caractère s’était ressenti de ces ignobles orgies : il était devenu irritable et cruel, et ses excès avaient attiré plus d’une fois sur lui les reproches de son père. On parti considérable, à la tête duquel se trouvait Abou’l-Fazl, blâmait ouvertement sa conduite et contestait la légitimité morale de ses droits