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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/919

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saisi d’une fièvre violente qui le contraignit à garder le lit. Après avoir lutté deux mois contre la maladie, il expira le 13 octobre, âgé de soixante-trois ans. Les intrigues qu’on avait nouées depuis longtemps, dans l’espoir de le déterminer à désigner Khousroh comme son successeur au détriment du père de ce jeune prince, s’agitèrent encore autour du lit de mort de l’empereur, Elles échouèrent cependant devant le respect qu’inspirait jusqu’au dernier moment sa volonté. Les missionnaires portugais, qui se trouvaient alors à la cour, nous ont transmis un récit intéressant des principales circonstances qui se rattachent à ce grand événement, et comme ce récit est d’ailleurs conforme, dans son ensemble, au témoignage des historiens indigènes et peu connu, il convient d’en reproduire ici la substance.

« Ce grand et puissant monarque, dit le père Du Jarrie, mourut le 27 octobre de l’an 1605[1], tel qu’il avait vécu, car comme l’on n’avait su quelle loi il avait suivie pendant sa vie, aussi ne sut-on a sa mort dans quelle croyance il mourait. Les pères furent avertis de sa maladie et l’allèront voir un samedi, avec l’intention de lui dire ce qu’ils avaient résolu de longue main, pour le déterminer à faire une fin chrétienne (ayant recommandé au préalable l’affaire à Dieu) ; mais ils le trouvèrent parmi ses capitaines, si libre d’esprit et si peu malade en apparence, qu’ils ne jugèrent pas à propos de lui parler alors de la fin de cette vie et de l’acheminement à la vie éternelle, de façon qu’ils s’en retournèrent persuadés qu’on avait grandement exagéré le danger qu’il pouvait courir, comme cela arrive d’ordinaire quand un roi tombe malade. Mais le lundi suivant le bruit se répandit partout que le roi allait mourir, et que le poison qu’on lui avait donné commençait à opérer[2]. Les pères, en apprenant ces nouvelles, se rendirent au palais ; mais ils ne trouvèrent personne qui voulut se charger d’annoncer leur arrivée ou même parler d’eux à l’empereur, car les affaires étaient déjà plus entre les mains des seigneurs que de l’empereur même, ce qui fut cause qu’ils ne purent réussir à obtenir accès auprès de l’auguste malade. En ce temps-là, le prince Sélim n’osait paraître devant son père. Les uns disaient que c’était parce que l’empereur, soupçonnant Sélim de l’avoir fait empoisonner, se refusait à le voir ; les autres prétendaient que le prince ne voulait pas entrer dans le fort d’Agra, où Akbar se trouvait alors, dans la crainte que quelques-uns des omrâhs, ses ennemis, ne se saisissent de sa personne pour le priver de la couronne et la donner à son fils, que l’empereur affectionnait particulièrement. Ce qui parait certain, c’est que le parti hostile à Sélim ne se crut pas assez fort pour prononcer

  1. L’Histoire des Choses plus remarquables, etc., du père Du Jarrie, se trompe sûrement en assignant cette date à la mort d’Akbar.
  2. Ces bruits d’empoisonnement ne paraissent avoir aucun fondement solide. On peut encore moins admettre la version de Manucci et autres (voyez l’Histoire du Mogol, du père Catrou, et les Annals of Rajast’hân, de Tod), d’après lesquelles Aibar aurait avalé, par méprise, des pilules empoisonnées destinées par lui à radja Mann-Sing. La royauté et la noblesse du caractère d’Akbar repoussent cette odieuse imputation. Elphinstone n’a pas même daigné faire mention de ces bruits de mort violente.