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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/954

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roi des quadrupèdes, comme l’aigle est le roi des oiseaux. Protée insaisissable, être indéfini qui participe de la nature de tous les êtres, tour à tour quadrupède, reptile, oiseau ou poisson, le dragon habite indistinctement l’air, la terre, la mer, les fleuves. « Il vole, il marche, il nage, » dit saint Grégoire. Brûlé, comme les damnés, par un feu que rien ne peut éteindre, il livre à l’éléphant des combats furieux pour se rafraîchir en buvant son sang. Il n’est pas plus gros qu’un lézard, ou il est long de trente coudées. Il a des ailes armées de griffes ou des nageoires armées de crocs aigus. Quelquefois il porte une tête d’homme avec un corps et une queue de lion, et à l’extrémité de cette queue une tête de serpent. Sa gueule vomit des flammes. Son haleine empoisonne les airs, flétrit les feuilles et les fleurs, tue les oiseaux et donne le vertige aux hommes. Il ne craint qu’une seule chose au monde, le tonnerre, parce qu’il en est souvent frappé ; aussi, quand les enchanteurs ont besoin de ses services et veulent le dompter, ils imitent avec un tambour les roulemens de la foudre. Trompé par le bruit, le dragon se soumet sans résistance, et, apprivoisé par la peur, il sert avec la plus grande docilité tous les caprices de son maître. Comme le démon, il peut à son gré changer de forme et traverser avec la rapidité de la pensée les plus grandes distances. Il séduit les femmes, il enlève les jeunes filles, et une tradition accréditée dès la première race le donne pour amant à la femme de Clodion et pour père à Mérovée. Après avoir gardé dans l’antiquité le jardin des Hespérides et la toison d’or, il reparaît au moyen âge avec son rôle de sentinelle vigilante et terrible. Il défend l’entrée des cavernes où les enchanteurs enferment leurs trésors, et celle des forteresses où les géans enferment les jeunes filles. Quelquefois même, mais plus rarement, il se fait, en l’absence du mari, le défenseur de la vertu des femmes. C’est ainsi que, dans le poème d’Alexandre, de Thomas de Kent, on le voit se déguiser en autour pour prévenir le roi Philippe que sa femme Olympias l’a trompé avec le baron Nectanébus, nécromancien fameux qui, chassé de l’Égypte par des seigneurs jaloux, était venu se réfugier en Macédoine. On a vu qu’Apollonius avait appris le langage des bêtes en mangeant le cœur d’un dragon des Indes. Au moyen âge, le cœur et le sang du merveilleux animal communiquent encore aux hommes des vertus extraordinaires. Dans les Niebelungen, Sigefrid, fils du roi Sigemond, quitte le château de Xante, demeure de son père, pour traverser un bois ténébreux. Fatigué par une longue route, il se disposait à se coucher au pied d’un tilleul, lorsqu’un dragon se précipite sur lui ; Sigefrid, qui n’avait point d’armes, saisit une branche de chêne et tue le monstre d’un seul coup. Débarrassé de ce redoutable ennemi, il se coucha sous les vertes ramées de la forêt, et en