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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1003

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Turcs, — si ceux-ci se sentaient encourager par la présence de la flotte française, — pourraient entraver ou reculer trop longtemps la solution favorable du litige. Sous ce rapport, lord Aberdeen nous semble avoir parfaitement compris le beau rôle qu’avait à y jouer L’Angleterre, et nous aimons à l’en féliciter, persuadés d’avance de l’impartialité, qu’il mettra à le remplir[1]. »

Tandis que ces communications s’échangeaient entre les cabinets européens, le prince Menchikof dévoilait peu à peu à Constantinople les véritables objets de sa mission.

L’ambassadeur russe voulut d’abord amuser les chargés d’affaires de France et d’Angleterre. Il tâcha de les rassurer en leur déclarant qu’il « était un négociateur, et non, comme le comte de Leiningen (qui peu de temps auparavant avait été envoyé par l’Autriche pour arranger les affaires du Monténégro), porteur d’ordres péremptoires. » Il disait au colonel Rose qu’il avait ordre d’exiger de la Porte l’exécution du firman accordé aux Grecs et une réparation vis-à-vis de l’empereur de Russie ; mais il ajoutait que cette demande en réparation était déjà satisfaite par la retraite de Fuad-Effendi. Il répondait légèrement à M. Benedetti, qui venait l’entretenir de l’affaire des lieux-saints, qu’il considérait cette question comme secondaire, et qu’il était en train de l’étudier. Quand les chargés d’affaires de France et d’Angleterre le pressaient à l’endroit des arméniens de la Russie, il répondait que ces préparatifs militaires avaient été faits en vue de la guerre du Monténégro, et que si le comte de Leiningen n’avait pas obtenu satisfaction de la Porte sur ce point, la Russie serait intervenue de concert avec l’Autriche en faveur des Monténégrins. « Mais cette question est réglée, lui faisait-on observer ; les troupes russes se retireront-elles ? — Elles resteront où elles sont, répliquait le prince ; elles occupent leurs cantonnemens ordinaires. » Poussé davantage, il s’échappait par une autre série d’argumens. Il prétendait que les mouvemens militaires d’Omer-Pacha avaient inspiré des soupçons au gouvernement russe, qu’on craignait qu’Omer-Pacha ne portât la guerre et les doctrines de Mazzini sur le territoire autrichien et dans les provinces danubiennes. « De toutes les excuses données par la Russie pour ses menaçantes démonstrations militaires, écrivait le colonel Rose, celle-là est assurément la moins bonne. Je dis au prince Menchikof que je pouvais lui donner l’assurance positive que la Porte n’avait jamais eu l’idée de mettre à exécution de si grands projets de conquête et de propagande révolutionnaire, si disproportionnés avec ses ressources et si ruineux pour ses intérêts, qu’Omer-Pacha avait l’ordre le plus sévère de s’éloigner de la frontière autrichienne, et je demandai à son excellence comment il était

  1. Corresp., part I, n° 138.