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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1018

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seigneurie, un grand soulagement pour moi d’apprendre que si mes rapports ont contribué à égarer le gouvernement de sa majesté touchant les intentions du cabinet impérial sur la Turquie, la faute ne peut en être attribuée à mon inexactitude. J’aurais pu me méprendre sur les explications et les assurances de M. de Nesselrode, si elles ne m’eussent été données qu’une fois ; mais on imaginera difficilement que j’aie pu me méprendre sur le sens de ses protestations, répétées sans cesse, et l’hypothèse de ma méprise devient inadmissible, lorsqu’on voit que la série des déclarations faites à l’envoyé britannique par le cabinet russe est successivement répétée au secrétaire d’état des affaires étrangères de sa majesté par le ministre russe à Londres. Je veux bien avouer cependant à votre seigneurie que j’ai encouru tout le blâme qui peut s’attacher à la foi complète donnée à des assurances solennelles, et que ça été mon malheur, comme mon devoir, d’exprimer au gouvernement de sa majesté la confiance que m’inspiraient ces assurances[1]. » Non-seulement lord Clarendon amnistiait sir Hamilton Seymour de la faute dont il s’accusait ironiquement, mais il portait sur la sincérité du ministre resté à Londres, M. de Brunnow, un témoignage qui allait durement retomber sur la tête du cabinet russe. « Notre conviction est que M. de Brunnow a agi pendant tout le temps avec franchise et droiture, et qu’il n’a rien caché au gouvernement de sa majesté de ce que lui laissaient savoir ses informations limitées ; mais ce qui prouve que ses informations étaient limitées, c’est que c’est de moi qu’il a appris plusieurs des demandes du prince Menchikof, et qu’il ne voulait pas y croire[2]. » On doit comprendre à présent ces qualifications sévères de mensongère et de frauduleuse que lord John Russell et lord Palmerston viennent d’appliquer en plein parlement à la conduite du gouvernement russe.

La déception de la France fut moins forte que celle des autres puissances, parce que c’était à propos d’elle et contre elle que la Russie avait soulevé ce grand débat. Plus défiante au début, elle fut moins surprise du dénoûment. Les cabinets allemands n’avaient pas reçu les mêmes protestations et les mêmes flatteries que l’Angleterre : ils furent moins piqués, mais non moins étonnés de l’issue de l’ambassade du prince Menchikof, et il faut leur rendre cette justice, que dès le premier moment ils n’hésitèrent point à désapprouver les extrémités où s’emportait la politique russe. L’ambassadeur anglais à Berlin, lord Bloomfield, transmettait en ces termes, à la date du 30 mai 1853, la première impression du cabinet prussien :

  1. Corresp., part I, n° 268.
  2. The earl of Clarendon to sir G. H. Seymour, june 21, 1853. Corresp., part I, n° 273.