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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1020

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attendait du cabinet de Saint-Pétersbourg des explications sur des actes auxquels on devait si peu s’attendre d’après ses assurances antérieures[1].

Quelle fut l’attitude de la Russie, prise ainsi par l’Europe en flagrant délit de dissimulation préméditée et de contradiction entre ses paroles et ses actes ? Les circulaires par lesquelles M. de Nesselrode annonça aux cabinets les mesures de violence dont la Russie allait appuyer ses injustes prétentions en Turquie furent publiées au moment même, et sont connues depuis longtemps ; mais ce qui est moins connu et plus curieux, c’est le ton que M. de Nesselrode prit vis-à-vis de l’Angleterre. On l’avait caressée lorsqu’on voulait l’abuser sur la mission du prince Menchikof, la prévenir contre la France et se servir d’elle en l’endormant, pour soustraire à l’autorité du sultan la population grecque de son empire. Dévoilée, la politique de la Russie paya d’audace : au lieu de s’excuser, elle accusa ; elle passa sans transition de la flatterie à l’arrogance, de la ruse à la menace altière et obstinée. Tout le venin de la question, suivant elle, y avait été introduit par lord Stratford de Redcliffe. À chaque phase de cette affaire, il lui fallait apparemment pour victime un ambassadeur. C’était maintenant le tour de lord Stratford après M. de Lavalette. Voici les violentes récriminations contre l’ambassadeur anglais que M. de Nesselrode adressait à M. de Brunnow dans une dépêche du 1er juin :


« En agissant comme il l’a fait et comme il se propose de le faire si on l’y oblige, l’empereur croit être resté fidèle aux déclarations qu’il a faites au gouvernement anglais. Il avait promis de pousser la modération et la patience aussi loin qu’elles pourraient aller ; mais en portant à la connaissance du cabinet de Londres les préparatifs militaires qui coïncidèrent avec l’ouverture des négociations, il ne lui avait pas dissimulé qu’il pourrait arriver un moment où il se verrait contraint d’y avoir recours. C’est pourquoi il priait l’Angleterre d’employer son influence à Constantinople pour y faire entendre les conseils de la prudence, et de s’efforcer de son côté d’y conjurer une crise imminente, en éclairant les Turcs sur les conséquences, au lieu de les encourager dans leur aveugle obstination par des espérances de secours. Le cabinet britannique, — c’est là une justice que nous nous plaisons à lui rendre, — a agi dans cet esprit, il s’est montré persuadé de nos intentions conciliantes. Il nous a franchement aidés à Paris dans cette partie épineuse de la question des lieux-saints qu’il s’agissait d’arranger avec la France. Quand celle-ci, sur la foi des bruits mensongers répandus à Constantinople, a envoyé sa flotte dans les mers de Grèce, l’escadre anglaise de Malte n’a fait aucun mouvement. Malheureusement l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople était animé d’autres dispositions envers nous. Une incurable défiance, une activité passionnée, ont caractérisé toute sa conduite dans la dernière phase de la négociation. Même après la conversion du projet de convention en simple

  1. Corresp., part I, n°214.