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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1031

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situation et de l’urgence d’y mettre un terme, les soussignés expriment la confiance que la Russie acceptera la reprise des négociations sur les bases qui, dans leur opinion, en assurent le succès, et offrent aux deux parties belligérantes l’occasion de se rapprocher d’une manière digne et honorable, sans que l’Europe soit plus longtemps attristée du spectacle de la guerre. »

En regard de cette conduite, quel contraste que l’attitude de la Russie ! Depuis l’invasion des principautés jusqu’à l’affaire de Sinope, c’est toujours le même mélange de protestations pacifiques et d’audace agressive. Le gouvernement qui a eu l’initiative de ces complications qui troublent et inquiètent si profondément l’Europe est le seul qui ne fasse point une tentative, un pas vers la conciliation. Un pied sur le territoire turc, la Russie semblait regarder d’un air de pitié et de moquerie les efforts de tous ces diplomates occupés, de Londres à Constantinople et de Paris à Vienne, à éplucher et à peser ce qu’il fallait de mots pour remplir une note de vingt lignes ; il était impossible de montrer plus de dédain pour ces actifs et féconds intérêts qui attachent à la paix l’Europe civilisée. Il était également impossible de manquer avec une persévérance plus systématique à ses assurances.

On a vu comment la Russie avait essayé de donner le change sur l’objet de ses armemens avant la mission du prince Menchikof ; maîtresse des principautés, elle continua ce système de contradictions entre les paroles et les actes. Elle ne devait, disait-elle, qu’occupée temporairement les principautés : elle y respecterait les droits du sultan. M. de Nesselrode alla un jour jusqu’à dire à sir Hamilton Seymour « qu’elle les rendrait à la Porte dans un meilleur état que celui où elle les avait trouvées[1]. » Le premier soin de la Russie, une fois qu’elle y fut entrée, fut au contraire de ne rien laisser subsister des liens qui unissaient les principautés au sultan. Tout rapport avec le gouvernement turc fut interdit aux hospodars, qui furent bientôt forcés de se retirer. Le tribut dû à la Porte fut confisqué ; la milice locale fut incorporée dans l’armée russe.

Dans sa circulaire du 20 juin, le comte de Nesselrode avait dit : « Sciemment et volontairement nous ne chercherons à exciter aucun soulèvement parmi les populations chrétiennes de la Turquie. » Au mois d’août, lord Clarendon était obligé de lui demander des explications sur les menées des agens russes qui répandaient à profusion en Bulgarie, traduits dans les dialectes du pays, les manifestes et les circulaires russes, en annonçant la guerre religieuse[2]. Peu de

  1. Sir G. H. Seymour to the earl of Clarendon, august 12,1853. Corr., part II, n° 50.
  2. The earl of Clarendon to sir G. H. Seymour. Corresp., part II, n° 64.