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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1038

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ce reproche à l’empereur de Russie. Le refrain éternel de M. de Nesselrode à tous les momens de la négociation : « l’empereur ne peut plus reculer, son honneur est engagé, » n’est point une excuse. Pour une question d’amour-propre se croire forcé de mettre l’Europe en feu et de faire reculer la marche de son pays d’un demi-siècle ! si cela était vrai, quel argument contre l’autocratie ! Et qui le fournirait ? Ce serait l’empereur Nicolas lui-même, lui le superbe contempteur de ces institutions libérales qui associent les peuples à leur gouvernement, et leur permettent d’échapper aux conséquences du caprice ou de l’entêtement d’un souverain.

Il nous est donc permis d’espérer, en finissant, que cette unanimité qui s’est faite si heureusement en Europe contre les desseins de la Russie existe, à l’heure qu’il est, complètement en France. La Russie a tout blessé parmi nous : le sentiment religieux, en nous disputant avec une jalousie de sectaire la place que nous réclamions pour les catholiques romains auprès du tombeau du Christ ; le sentiment libéral, dont elle représente en Europe la négation la plus exclusive et la plus absolue ; les intérêts matériels, dont ses exigences et son attitude ont brusquement refoulé l’essor ; l’esprit de conservation, qu’elle compromet sur le continent tout entier par la plus égoïste et la moins légitime des ambitions. Devant cet ensemble d’intérêts nationaux lésés par la politique russe, et sous le jour qui montre à tous la position que la Russie a faite à la France, les dissentimens de partis et les préférences de système doivent disparaître. Nos cœurs, je le sais, seront tous dans cette guerre avec nos marins et avec nos soldats : ce n’est point assez ; il faut qu’une conviction unanime les accompagne, la conviction qu’ils vont combattre pour une querelle française et pour le bon droit. En formant ce vœu, je suis bien sûr d’être l’écho de ces esprits libéraux qui, parmi les fidélités dont ils ont le culte, ont toujours placé en première ligne la fidélité à l’intérêt et à l’honneur de la France.


EUGENE FORCADE.