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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1061

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circulaire de M. le ministre des affaires étrangères qui prescrit à nos agens au dehors d’étendre leur protection à tous les sujets anglais que pourraient atteindre les conséquences de la guerre ; c’est sans nul doute à titre de réciprocité. Au milieu des traits divers d’une situation qui se dessine de plus en plus, quels sont aujourd’hui les points principaux, les actes si l’on veut, qui la caractérisent et la résument ? Il n’y a point encore, il est vrai, de déclaration de guerre officielle ; mais en Angleterre comme en France des troupes sont embarquées et dirigées vers Constantinople. Dans peu de jours, une sommation semble devoir être adressée à la Russie pour l’évacuation des principautés, ce qui sera, à bien dire, la véritable, déclaration de guerre, et en attendant une convention est soumise à la signature du sultan pour régler les conditions de l’appui prêté par la France et l’Angleterre à l’empire ottoman. Les deux puissances n’ont à stipuler aucun intérêt personnel, aucun agrandissement de territoire ; de son côté, la Turquie s’engage à ne traiter de la paix que de l’avis des cabinets occidentaux. Qu’il puisse y avoir lieu suivant la chance des armes, ainsi que le disait récemment un ministre anglais, à reprendre à la Russie des territoires pour les remettre entre les mains d’anciens possesseurs, comme aussi à lui faire payer les frais de la guerre, tout cela est certes au nombre des éventualités d’une semblable lutte ; mais cela ne change pas son vrai caractère, qui est d’être une guerre entreprise pour conquérir la paix, pour assurer à l’Europe des garanties plus efficaces et plus durables contre le retour périodique de ces secousses désastreuses. Jetées dans la lutte sans l’avoir voulu, sans ambition personnelle d’agrandissement, l’Angleterre et la France stipulent pour un intérêt universel. Lord Clarendon le disait ces jours derniers, puisque la question se présente, il faut la résoudre et lâcher de la bien résoudre. C’est là le sens élevé, le but et la limite de l’intervention actuelle des deux puissances occidentales ; tout le reste est livré aux chances des événemens.

Au point où en sont arrivées en quelques jours la France et l’Angleterre, la seule question capable de préoccuper les esprits prévoyans, c’était évidemment celle de savoir si la guerre resterait circonscrite en Orient, s’il ne viendrait pas s’y mêler, pour la compliquer, des mouvemens nationaux ou révolutionnaires. Cette question même, il est facile de le voir, en impliquait une autre, celle de savoir quelle serait l’attitude de l’Autriche et de la Prusse. Or c’est sous ce rapport surtout qu’une amélioration sensible se manifeste dans les conditions actuelles de l’Europe. Tout annonce aujourd’hui que l’Autriche et la Prusse ont fait un pas de plus vers l’Angleterre et la France. Lord Clarendon, dans une des dernières séances du parlement, laissait entrevoir leur concours comme n’étant plus douteux. « Nous n’entendons plus parler de neutralité, » disait-il. L’Autriche, pour sa part, vient de faire avancer un nouveau corps de vingt-cinq mille hommes vers ses frontières. Si la Prusse n’a point une mesure semblable à prendre pour le moment, elle parait être dans les mêmes dispositions. En agissant ainsi, la Prusse et l’Autriche ne font que répondre à ce qu’on avait le droit d’attendre de l’indépendance de leur politique et du sentiment de leurs intérêts les plus élevés. Nous ne parlons pas même de ce qu’il pouvait y avoir de blessant pour l’orgueil légitime des deux grands états allemands dans l’offre récente de cette garantie de neutralité,