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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1090

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fait de l’ordre, et cependant c’est du sein de ces temps de bouleversemens que se sont élancés deux rois, Cromwell et Napoléon.

La religion anglicane dégénérait en formes vaines : le puritanisme les foula aux pieds. On le suspendit à d’infâmes gibets ; mais de là il donna le signal à la révolution anglaise, Pym et Hampden étaient déjà une sorte de héros. Cependant le vrai héros devait être plus affirmatif et plus novateur, plus complet et plus impérieux. Tel était Cromwell. Eux, ils se fondirent comme la glace ; il résista, lui, comme un métal irréductible. Faut-il croire que ce métal n’était qu’une masse chaotique de démence et d’hypocrisie ? On dit que ses discours étaient confus. L’homme d’action n’est pas nécessairement un beau parleur clair et correct. Il ne savait parler, mais il savait prêcher, c’est-à-dire entraîner les hommes. Il avait les vrais attributs du pouvoir : il avait le commandement ; il avait la foi dans son œuvre ; il croyait en lui. Comment d’une telle sincérité faire de l’hypocrisie ? Il peut avoir trompé quelquefois ; mais pour s’être souvent couvert de nuages le soleil n’est pas un nuage. Quant à l’ambition, la sienne s’éleva avec la nécessité. Lorsqu’il se fit le maître, rien n’était possible que son despotisme.

Napoléon, prétend M. Carlyle, n’est pas un aussi grand homme que Cromwell. Ses énormes victoires l’exhaussent, mais ne le grandissent pas. Inférieur à Cromwell en sincérité, c’est de lui, non de Cromwell, qu’il faut dire comme Hume qu’il passa du fanatisme à l’hypocrisie. Il procédait non de la Bible, mais de l’Encyclopédie. Il avait cependant sa sincérité. C’était le sentiment du vrai, l’instinct du réel. Aussi devint-il tout naturellement roi. Son pouvoir ne fut pas une apparence, une convention : c’était l’empire effectif de la supériorité ; mais la tentation et le charlatanisme le gagnèrent : il crut que la révolution française n’avait été faite que pour fonder sa dynastie, et les illusions de son égoïsme l’aveuglaient encore à Sainte-Hélène. C’est pourtant notre dernier grand homme.

Telles sont les théories plus que hasardées de M. Carlyle ; nous sommes loin d’y adhérer, mais il faut les connaître pour lire ses ouvrages historiques et surtout celui dont Cromwell est le sujet.

Dans sa pensée, l’âge du puritanisme est le dernier des temps héroïques de l’Angleterre. Pour être raconté, il doit être compris autrement que l’esprit de Dryasdust ne comprend le passé. Dryasdust (on reconnaît sans doute ce nom, qui personnifie l’historien collecteur de faits), Dryasdust mesure, étiquette d’arides ossemens. Il ne les remet point debout, il ne les recouvre pas d’une chair vivante. Il ne leur donne pas son cœur pour faire respirer et palpiter le passé. Le récit d’un temps héroïque devrait être chanté. Ce qu’il faudrait, c’est une cromwelliade ; mais où est l’Orphée qui descendrait aux