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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1099

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imposteurs pour user avec art de ce qu’ils sont véritablement, et dans les homélies guerrières de Cromwell, nous verrons à la fois sa ferveur et son habileté.

Plus ses lettres sont intimes, plus éclate le feu spirituel qui semble consumer son âme ; quand il écrit à ses païens, à sa fille, il y a presque de l’onction dans les épanchemens de son étrange piété. On nous permettra de citer une lettre, lettre de guerre et de famille, où il se révèle tout entier. C’était deux jours après la victoire de Marston-Moor, il était blessé, et il écrivait à son beau-frère, le colonel Valentin Walton, mari de sa troisième sœur Marguerite.


« Cher monsieur, c’est notre devoir que de sympathiser ensemble dans toutes nos miséricordes, et de louer le Seigneur ensemble dans les châtimens et les épreuves qui peuvent nous affliger ensemble.

« Vraiment l’Angleterre et l’église de Dieu ont reçu une grande faveur du Seigneur dans la grande victoire qu’il nous a donnée, victoire dont il n’y a pas eu la pareille depuis le commencement de la guerre. Elle a tous les signes d’une victoire complète obtenue par la bénédiction du Seigneur sur le parti saint en particulier. Nous n’avons jamais chargé sans mettre l’ennemi en déroute. L’aile gauche que je commandais, étant composée de notre cavalerie, sauf quelques Écossais à notre arrière-garde, a battu toute la cavalerie du prince. Dieu en a fait un chaume pour nos épées. Nous chargions leurs régimens d’infanterie avec nos cavaliers et mettions en fuite tout ce que nous chargions. Les détails, je ne puis vous les rapporter ; mais de vingt mille hommes, je crois, il n’en reste pas au prince quatre mille. Rendez-en gloire, toute la gloire à Dieu.

« Monsieur, Dieu a enlevé votre fils aîné d’un coup de canon : il a eu la jambe cassée ; nous avons été dans la nécessité de la lui couper, ce dont il est mort.

« Monsieur, vous connaissez mes propres épreuves en ce genre[1] ; mais le Seigneur m’a soutenu par cette pensée que le Seigneur ne l’a pris que pour lui donner ce bonheur après lequel nous soupirons tous et pour lequel nous vivons. Là est votre précieux enfant, plein de gloire, à ne plus jamais connaître ni péché, ni affliction : c’était un vaillant jeune homme, excessivement gracieux. Dieu vous donne sa consolation (his comfort). Avant de mourir, il en était si rempli, qu’il ne pouvait l’exprimer à Frank Russell et à moi. « C’était si fort au-dessus de sa douleur, » nous a-t-il dit. En vérité, cela était admirable. Un peu après, il dit qu’une chose lui restait sur le cœur. Je lui demandai ce que c’était. « C’était, me dit-il, que Dieu ne lui eut pas permis d’être encore un peu plus l’exécuteur de ses ennemis. » Quand il tomba, le boulet ayant tué son cheval et, à ce que j’ai appris, trois autres chevaux encore, on m’a raconté qu’il dit aux soldats de faire place nette de droite et de gauche, afin qu’il put voir les coquins s’enfuir. Vraiment il était excessivement aimé dans l’armée de tous ceux qui le connaissaient ; mais peu le

  1. On croit qu’il avait récemment perdu son second fils, Olivier, mort en combattant (Carlyle) ; mais d’autres ne placent cette mort que quatre ans plus tard.