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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1110

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habiles même, qui, dans le cours des révolutions, tâchent pour le moment d’établir une administration raisonnable, sont malheureux. Ils essaient à grand’peine de renouer le fil de la légalité, et il se brise dans leurs mains. Ils parlent d’ordre, de libellé, d’obéissance ; ils peuvent même montrer du courage et du talent : vains efforts ! la tradition est rompue, le charme est détruit. Les violens les détestent, les malveillans les insultent, les indifférens les abandonnent. Tel fut le sort de quelques hommes d’une âme et d’un esprit élevés, qui, des débris d’un gouvernement, essayèrent alors de former un ordre de choses qui préparât la république définitive. Compromis dans les fautes de la révolution, ils auraient voulu la terminer ; mais aucun parti ne consentait volontiers à être sauvé par eux. Non-seulement leur ouvrage a été balayé sans résistance, mais leur mémoire n’a pas été épargnée. Les côtes de fer de Cromwell ne parlaient d’eux qu’avec mépris. Lui-même ne put s’empêcher de les outrager en les remplaçant. L’opinion défiante et dédaigneuse, n’ayant jamais cru à leur durée, ne croyant pas à leur force, ne les respectait pas, faute de les craindre. La modération relative qui les rendait faibles les rendait ridicules. Après que les indépendant les eurent chassés, les royalistes se moquèrent d’eux. La restauration, quand elle vint à son tour, ne les traita que de factieux et de régicides. On s’attacha à décrier en eux la république. Les constitutionnels n’ont rien tant à cœur dans une monarchie que de ne point passer pour républicains, et ils auraient craint de s’en donner l’apparence en montrant à ceux qui l’avaient été sympathie ou justice. Puis sont venus les historiens avec leurs systèmes ; ils ont doctement prouvé que ce qui était tombé devait tomber, et qu’il était nécessaire que le plus faible fût dévoré par le plus fort. Ainsi a été fermé et scellé sans honneur, sans la moindre épitaphe un peu consolante, le tombeau des hommes d’état de la république d’Angleterre.

Il n’est cependant pas vrai qu’au moment où Cromwell revint d’Ecosse, la république chancelât par elle-même, et que sa chute fût inévitable. Il n’y avait ni désordre ni troubles. Grâce à l’absence de l’armée, les vieilles mœurs de l’Angleterre avaient un peu relevé le pouvoir civil. Blake avait illustré sur les mers le nouveau pavillon. Ainsi Brune et Masséna honoraient par leurs armes les derniers jours de ce directoire qui ne valait pas le croupion, et qui finit comme lui. Aucune nécessité ne commandait une révolution. Le parlement pouvait durer ; mais il ne pouvait se défendre. Rien ne le condamnait à périr ; mais rien ne pouvait empêcher qu’il ne fût tué. Ce meurtre même n’était pas à la portée de tous, que Cromwell eût été frappé à Worcester d’une balle écossaise, et il est douteux que la révolution eût été tentée ; il est presque certain qu’elle n’eût pas réussi.

Mais dans l’état des opinions et des affaires, l’événement semblait