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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1123

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tout à fait exceptionnelles, lui donnant sur cet ensemble d’organes surexcités le droit absolu dont parle la loi romaine, — le droit d’en user et d’en abuser au besoin. Grimaldi avait exercé ce droit sans mesure, emporté par son zéle d’artiste, par sa soif de renommée, un peu aussi par la nécessité ; car, imprévoyant et confiant comme le sont en général ces pauvres enfans de la balle, il avait toujours trouvé moyen de gaspiller, par d’absurdes placemens ou par des spéculations plus absurdes encore, les économies réalisées sur des gains longtemps considérables.

Auquel de ces deux motifs, — besoin de gloire ou besoin d’argent, — faudrait-il attribuer la rédaction des Mémoires de Grimaldi ? C’est ce que nous ne saurions dire. Le fait est qu’ils existaient, absolument terminés, cinq mois avant sa mort. Grimaldi avait même choisi dans la littérature de second ordre la personne chargée de les revoir et de les préparer pour la presse. Le libraire ; qui les avait acquis, profitant de la liberté que lui rendait la mort de l’auteur, les porta immédiatement à Charles Dickens. Charles Dickens, en 1838, comptait à peine sous ce nom peu connu ; mais Boz était déjà un pseudonyme chéri du public. Les Skelches, soigneusement recueillies dans les journaux et magazines dont elles avaient fait le succès, les Pickwick Papers, si promptement populaires dans les deux mondes, avaient assis en trois ou quatre ans cette réputation, qu’ont si bien affermie depuis lors et Nicholas Nickleby et la série déjà longue des romans qui ont suivi cet « aîné de la famille. » Le propriétaire des Mémoires de Grimaldi eut donc toute raison de penser qu’il en tirerait un excellent parti, s’il employait à les faire valoir la simplicité un peu narquoise, la bonhomie rusée qui s’unissent chez Dickens à une si profonde connaissance des mœurs vulgaires, de l’argot populaire, des excentricités mal famées. Dickens, de son côté, sentit que c’était là pour sa plume un heureux sujet, et qu’elle ne dérogerait pas en s’associant aux souvenirs d’un clown, il est vrai, mais d’un clown comme on n’en avait guère vu jusqu’alors, du « Garrick des clowns, » comme l’avait surnommé Theod. Hook, le romancier satirique ; d’un clown que sa vie et son talent avaient mis presque de niveau avec ses collègues de la tragédie et de la comédie, que plus d’un membre de l’aristocratie avait voulu connaître, et qui s’était vu admis par lord Byron en personne à une espèce d’intimité presque amicale.

Nous ne serons pas autrement scrupuleux que Dickens, et comme lui, d’après lui, son livre à la main[1], nous suivrons le grand Joe,

  1. Ce livre vient d’avoir les honneurs d’une seconde publication revue, corrigée et augmentée d’annotations vraiment précieuses, dues à la plume d’un auteur dramatique fort érudit, parait-il, sur tout ce qui touche à l’histoire contemporaine du théâtre anglais, — M. Charles Whithead. Les bouffonnes illustrations dont Cruikshank avait orné la première édition des Mémoires de Grimaldi se retrouvent dans celle-ci, et le volume est en tout point une de ces curiosités bibliographiques que les amateurs d’un certain ordre ne laissent pas tomber mortes de la presse, pour nous servir d’une expression familière ans Anglais. Il a paru chez Routledge et Co, Farringdon-street.